OUTLINES OF AN HISTORICAL VIEW OF 
THE PROGRESS OF THE HUMAN MIND

Esquisse d'un tableau historique
des progrès de l'esprit humain

NINTH EPOCH:
From the Time of Descartes, to 
the Formation of the French Republic
Depuis Descartes jusqu'à la formation
de la République française

by the Marquis de Condorcet

We have seen human reason forming itself slowly by the natural progress of civilization; superstition usurping dominion over it, thereby to corrupt it, and despotism degrading and stupefying the mental faculties by the operation of fear, and actual infliction of calamity.

One nation only escaped for a while this double influence. In that happy land, where liberty had kindled the torch of genius, the human mind, freed from the trammels of infancy, advanced towards truth with a firm and undaunted step. But conquest soon introduced tyranny, sure to be followed by superstition, its inseparable companion, and the whole race of man was re-plunged into darkness, destined, from appearance, to be eternal. The dawn, however, at length was observed to peep; the eyes, long condemned to obscurity, opened and shut their lids, inuring themselves gradually till they could gaze at the light, and genius dared once again to shine forth upon the globe, from which, by fanaticism and barbarity, it so long had been banished.

We have seen reason revolting at, and shaking off part of its chains, and by the continual acquisition of new strength preparing and hastening the epoch of its liberty.

We have now to run through the period in which it compleated its emancipation; in which, subjected still to a degree of bondage, it throws off, one by one, the remainder of its fetters; in which, free at length to pursue its course, it can no longer be stopped but by those obstacles, the occurrence of which is inevitable upon every new progess, as being the result of the conformation of the mind itself, or of the connection which nature has established between our means of discovering truth, and the obstacles she opposes to our efforts.  Religious intolerance had obliged seven of the Belgic provinces to throw off the yoke of Spain, and to form themselves into a federal republic. The same cause had revived in England a spirit of liberty, which, tired of long and sanguinary commotions, sat down at last contented with a constitution, admired for a while by philosophers, but having at present no other support than national superstition and political hypocrisy.

To sacerdotal persecution is it likewise to be ascribed that the Swedes had the fortitude to regain a portion of their rights.

Meanwhile, amidst the commotions occasioned by theological contests, France, Spain, Hungary and Bohemia saw the feeble remains of their liberty, or of what, at least, bore the semblance of liberty, totally vanish from their sight.

Even in countries said to be free, it is in vain to look for that freedom which violates none of the natural rights of man, and which secures their indefeasible possession and uncontrouled exercise. On the contrary, the liberty existing there, founded upon a positive right unequally shared, confers upon an individual prerogatives greater or less according to the town which he inhabits, the class in which he is born, the fortune he possesses, or the trade he may exercise; and a concise picture of these fantastical distinctions in different nations, will furnish the best answer to those men who are still disposed to vindicate the advantage and necessity of them.

In these countries, however, civil and personal liberty are guaranteed by the laws. If man be not all that he ought to be, still the dignity of his nature is not totally degraded; some of his rights are at least acknowledged; it can no longer be said of him that he is a slave, but only that he does not yet know how to become truly free.

In nations among whom, during the same period, liberty may have incurred losses more or less real, so restricted were the political rights enjoyed by the generality of the people, that the annihilation of the aristocracy, almost despotic, under which they had groaned, seems to have been more than a compensation. They have lost the title of citizen, which inequality had nearly rendered illusory; but the quality of man has been more respected, and royal despotism has saved them from a state of feodal oppression, an oppression so much the more painful and humiliating, as the number and prefence of the tyrants are continually reviving the sentiment of it.  In nations partially free the laws must necessarily have improved, because the interests of those who hold therein the reins of power, are not in all cases at variance with the general interests of the people; and they must also have improved in despotic states, either because the interest of the public prosperity is sometimes confounded with that of the despot, or because, seeking to destroy the remains of authority in the nobles or the clergy, the despot himself thereby communicates to the laws a spirit of equality, of which the motive indeed was the establishment of an equality of slavery, but which has often been attended with salutary consequences.

Nous avons vu la raison humaine se former lentement par les progrès naturels de la civilisation ; la superstition s'emparer d'elle pour la corrompre, et le despotisme dégrader et engourdir les esprits sous le poids de la crainte et du malheur.
 

Un seul peuple échappe à cette double influence. De cette terre heureuse où la liberté vient d'allumer le flambeau du génie, l'esprit humain, affranchi des liens de son enfance, s'avance vers la vérité d'un pas ferme. Mais la conquête ramène bientôt avec elle la tyrannie, que suit la superstition, sa compagne fidèle, et l'humanité tout entière est replongée dans des ténèbres qui semblent devoir être éternelles. Cependant, le jour renaît peu à peu ; les yeux, longtemps condamnés à l'obscurité, l'entrevoient, se referment, s'y accoutument lentement, fixent enfin la lumière, et le génie ose se remontrer sur ce globe, d'où le fanatisme et la barbarie l'avaient exilé.
 

Déjà nous avons vu la raison soulever ses chaînes, en relâcher quelques-unes ; et acquérant sans cesse des forces nouvelles, préparer, accélérer l'instant de sa liberté.

Il nous reste à parcourir l'époque où elle acheva de les rompre, où, forcée d'en traîner encore les restes, elle s'en délivre peu à peu ; où, libre enfin dans sa marche, elle ne peut plus être arrêtée que par ces obstacles dont le renouvellement est inévitable à chaque nouveau progrès, parce qu'ils ont pour cause nécessaire la constitution même de notre intelligence, c'est-à-dire, un rapport établi par la nature entre nos moyens pour découvrir la vérité, et la résistance qu'elle oppose à nos efforts. L'intolérance religieuse avait forcé sept des provinces belgiques à secouer le joug de l'Espagne, et à former une république fédérative. Elle seule avait réveillé la liberté anglaise, qui, fatiguée par de longues et sanglantes agitations, a fini par se reposer dans une constitution longtemps admirée par la philosophie, et désormais réduite à n'avoir plus pour appui que la superstition nationale et l'hypocrisie politique.
 

Enfin, c'était encore aux persécutions sacerdotales que la nation suédoise avait dû le courage de ressaisir une partie de ses droits.

Cependant, au milieu de ces mouvements, causés par des querelles théologiques, la France, l'Espagne, la Hongrie, la Bohême, avaient vu s'anéantir leurs faibles libertés, ou ce qui, du moins, en avait l'apparence.
 

On chercherait en vain, dans les pays appelés libres, cette liberté qui ne blesse aucun des droits naturels de l'homme ; qui non seulement lui en réserve la propriété, mais lui en conserve l'exercice. Celle qu'on y. trouve, fondée sur un droit positif inégalement réparti, accorde plus ou moins de prérogatives à un homme, suivant qu'il habite telle ou telle ville, qu'il est né dans telle ou telle classe, qu'il a telle ou telle fortune, qu'il exerce telle ou telle profession ; et le tableau rapproché de ces distinctions bizarres dans les diverses nations, sera la meilleure réponse que nous puissions opposer à ceux qui en soutiennent encore les avantages et la nécessité.

Mais, dans ces mêmes pays, les lois garantissent la liberté individuelle et civile ; mais si l'homme n'y est pas tout ce qu'il doit être, la dignité de sa nature n'y est point avilie : quelques-uns de ces droits sont au moins reconnus ; on ne peut plus dire qu'il soit esclave ; on doit dire seulement qu'il ne sait pas encore être 'vraiment libre.

Chez les nations où, pendant le même temps, la liberté a fait des pertes plus ou moins réelles, les droits politiques dont la masse du peuple jouissait étaient renfermés dans des limites si étroites, que la destruction de l'aristocratie presque arbitraire sous laquelle il avait gémi semble en avoir plus que compensé la perte. Il a perdu ce titre de citoyen, que l'inégalité rendait presque illusoire ; mais la qualité d'homme a été plus respectée ; et le despotisme royal l'a sauvé de l'oppression féodale, l'a soustrait à cet état d'humiliation, d'autant plus pénible que le nombre et la présence de ses tyrans en renouvellent sans cesse le sentiment. Les lois ont dû se perfectionner et dans les constitutions demi-libres, parce que l'intérêt de ceux qui y exercent un véritable pouvoir, n'est pas habituellement contraire aux intérêts généraux du peuple ; et dans les États despotiques, soit parce que l'intérêt de la prospérité publique se confond souvent avec celui du despote, soit parce que, cherchant lui-même à détruire les restes du pouvoir des nobles ou du clergé, il en résultait dans les lois un esprit d'égalité, dont le motif était d'établir celle de l'esclavage, mais dont les effets pouvaient souvent être salutaires.

 

We may here minutely explain the causes which have produced in Europe that species of despotism, of which neither the ages that preceded, nor the other quarters of the world, have furnished an example; a despotism almost absolute, but which, restrained by opinion, influenced by the state of knowledge, and tempered in a manner by its own interest, has frequently contributed to the progress of wealth, industry, instruction, and sometimes even to that of civil liberty.

The manners of men were meliorated by the mere decay of those prejudices which had kept alive their ferocity, by the influence of commerce and industry, the natural enemies of disorder and violence, from which wealth takes it flight, by the fear and terror occasioned by the recollection, still recent, of the barbarities of the preceding period, by a more general diffusion of the philosophical ideas of justice and equality, and lastly by the slow but sure effect of the progress of mental illumination.

Religious intolerance still survived; but it was merely in the way of precaution, as a homage to the prejudices of the people, or as a safeguard against their inconstancy. It had lost its fiercest features. Executions at the stake, seldom resorted to, were replaced by other modes of directing religious opinions, which, if they frequently proved more arbitrary, were however less barbarous, till at length persecution appeared only at intervals, and resulted chiefly from the inveteracy of former habit, or from temporary weakness and complaisance.

In every nation, and upon every subject, the policy of government followed the steps not only of opinion, but even of philosophy; it was however slowly, and with a sort of reluctance: and we shall always find that, in proportion as there exists a considerable distance between the point at which men of profound meditation arrive in the science of politics and morals, and that attained by the generality of thinking men, whose sentiments, when imbibed by the multitude, form what is called the public opinion, so those who direct the affairs of a nation, whatever may be its form of government, are uniformly seen below the level of this opinion; they walk in its path, they pursue its course; but it is with so sluggish a pace, that, so far from outstripping, they never come up with it, and are always behind by a considerable number of years, and by a portion, no less considerable, of truths.

And now we arrive at the period when philosophy, the most general and obvious effects of which we have before remarked, obtained an influence on the thinking class of men, and these on the people and their governments, that, ceasing any longer to be gradual, produced a revolution in the entire mass of certain nations, and gave thereby a secure pledge of the general revolution one day to follow that shall embrace the whole human species.

After ages of error, after wandering in all the mazes of vague and defective theories, writers upon politics and the law of nations at length arrived at the knowledge of the true rights of man, which they deduced from this simple principle: that he is a being endowed with sensation, capable of reasoning upon and understanding his interests, and of acquiring moral ideas.

They saw that the maintenance of his rights was the only object of political union, and that the perfection of the social art consisted in preserving them with the most entire equality, and in their fullest extent. They perceived that the means of securing the rights of the individual, consisting of general rules to be laid down in every community, the power of choosing these means, and determining these rules, could vest only in the majority of the community: and that for this reason, as it is imposible for any individual in this choice to follow the dictates of his own understanding, without subjecting that of others, the will of the majority is the only principle which can be followed by all, without infringing, upon the common equality.

Each individual may enter into a previous engagement to comply with the will of the majority, which by this engagement becomes unanimity; he can however bind nobody but himself, nor can he bind himself except so far as the majority shall not violate his individual rights, after having recognised them.

Such are at once the rights of the majority over individuals, and the limits of these rights; such is the origin of that unanimity, which renders the engagement of the majority binding upon all; a bond that ceases to operate when, by the change of individuals, this species of unanimity ceases to exist. There are objects, no doubt, upon which the majority would pronounce perhaps oftener in favour of error and mischief, than in favour of truth and happiness; still the majority, and the majority only, can decide what are the objects which cannot properly be referred to its own decision; it can alone determine as to the individuals whose judgment it resolves to prefer to its own, and the method which these individuals are to pursue in the exercise of their judgment; in fine, it has also an indispensible authority of pronouncing whether the decisions of its officers have or have not wounded the rights of all.

Nous exposerons en détail les causes qui ont produit en Europe ce genre de despotisme dont, ni les siècles antérieurs, ni les autres parties du monde, n'ont offert d'exemple ; où l'autorité presque arbitraire, contenue par l'opinion, réglée par les lumières, adoucie par son propre intérêt, a souvent contribué aux progrès de la richesse, de l'industrie, de l'instruction, et quelquefois même à ceux de la liberté civile.
 
 

Les mœurs se sont adoucies par l'affaiblissement des préjugés qui en avaient maintenu la férocité ; par l'influence de cet esprit de commerce et d'industrie, ennemi des violences et des troubles qui font fuir la richesse ; par l'horreur qu'inspirait le tableau encore récent des barbaries de l'époque précédente ; par une propagation plus générale des idées philosophiques, d'égalité et d'humanité ; enfin, par l'effet lent, mais sûr, du progrès général des lumières.
 

L'intolérance religieuse a subsisté, mais comme une invention de la prudence humaine, comme un hommage aux préjugés du peuple, ou une précaution contre son effervescence. Elle a perdu ses fureurs ; les bûchers, rarement allumés, ont été remplacés par une oppression souvent plus arbitraire, mais moins barbare ; et dans ces derniers temps, on n'a plus persécuté que de loin en loin, et, en quelque sorte, par habitude ou par complaisance. 
 

Partout, et sur tous les points, la pratique des gouvernements avait suivi, mais lentement et comme à regret, la marche de l'opinion, et même celle de la philosophie.  En effet, si, dans les sciences morales et politiques, il existe à chaque instant une grande distance entre le point où les philosophes ont porté les lumières, et le terme moyen où sont parvenus les hommes qui cultivent leur esprit, et dont la doctrine commune forme cette espèce de croyance généralement adoptée, qu'on nomme opinion ; ceux qui dirigent les affaires publiques, qui influent immédiatement sur le sort du peuple, quel que soit le genre de leur constitution, sont bien loin de s'élever au niveau de cette opinion ; ils la suivent, mais sans l'atteindre, bien loin de la devancer ; ils se trouvent constamment au-dessous d'elle, et de beaucoup d'années, et de beaucoup de vérités.

Ainsi, le tableau des progrès de la philosophie et de la propagation des lumières, dont nous avons exposé déjà les effets les plus généraux et les plus sensibles, va nous conduire à l'époque où l'influence de ces progrès sur l'opinion, de l'opinion sur les nations ou sur leurs chefs, cessant tout à coup d'être lente et insensible, a produit dans la masse entière de quelques peuples, une révolution, gage certain de celle qui doit embrasser la généralité de l'espèce, humaine.

Après de longues erreurs, après s'être égarés dans des théories incomplètes ou vagues, les publicistes sont parvenus à connaître enfin les véritables droits de l'homme, à les déduire de cette seule vérité, qu'il est un être sensible, capable de former des raisonnements et d'acquérir des idées morales.
 

Ils ont vu que le maintien de ces droits était l'objet unique de la réunion des hommes en sociétés politiques, et que l'art social devait être celui de leur garantir la conservation de ces droits avec la plus entière égalité, comme dans la plus grande étendue. On a senti que ces moyens d'assurer les droits de chacun, devant être soumis dans chaque société à des règles communes, le pouvoir de choisir ces moyens, de déterminer ces règles, ne pouvait appartenir qu'à la majorité des membres de la société même ; parce que chaque individu ne pouvant, dans ce choix, suivre sa propre raison sans y assujettir les autres, le vœu de la majorité est le seul caractère de vérité qui puisse être adopté par tous, sans blesser l'égalité.

Chaque homme peut réellement se lier d'avance à ce vœu de la majorité, qui devient alors celui de l'unanimité ; mais il ne peut y lier que lui seul : il ne peut être engagé, même envers cette majorité, qu'autant qu'elle ne blessera pas ses droits individuels, après les avoir reconnus.

Tels sont à la fois les droits de la majorité sur la société ou sur ses membres, et les limites de ces droits. Telle est l'origine de cette unanimité, qui rend obligatoires pour tous les engagements pris par la majorité seule : obligation qui cesse d'être légitime quand, par le changement des individus, cette sanction de l'unanimité a cessé elle-même d'exister. Sans doute, il est des objets sur lesquels la majorité prononcerait peut-être plus souvent en faveur de l'erreur et contre l'intérêt commun de tous ; mais c'est encore à elle à décider quels sont ces objets sur lesquels elle ne doit point s'en rapporter immédiatement à ses propres décisions ; c'est à elle à déterminer qui seront ceux dont elle croit devoir substituer la raison à la sienne ; à régler la méthode qu'ils doivent suivre pour arriver plus sûrement à la vérité ; et elle ne peut abdiquer l'autorité de prononcer si leurs décisions n'ont point blessé les droits communs à tous.

From these simple principles men discovered the folly of former notions respecting the validity of contracts between a people and its magistrates, which it was supposed could only be annulled by mutual consent, or by a violation of the conditions by one of the parties; as well as of another opinion, less servile, but equally absurd, that would chain a people for ever to the provisions of a constitution when once established, as if the right of changing it were not the security of every other right, as if human institutions, necessarily defective, and capable of improvement as we become enlightened, were to be condemned to an eternal monotony. Accordingly the governors of nations saw themselves obliged to renounce that false and subtle policy, which, forgetting that all men derive from nature an equality of rights, would sometimes measure the extent of those which it might think proper to grant by the size of territory, the temperature of the climate, the national character, the wealth of the people, the state of commerce and industry; and sometimes cede them in unequal portions among the different classes of society, according to their birth, their fortune, or their profession, thereby creating contrary interests and jarring powers, in order afterwards to apply correctives, which, but for these institutions, would not be wanted, and which, after all, are inadequate to the end.

It was now no longer practicable to divide mankind into two species, one destined to govern, the other to obey, one to deceive, the other to be dupes: the doctrine was obliged universally to be acknowledged, that all have an equal right to be enlightened respecting their interests, to share in the acquisition of truth, and that no political authorities appointed by the people for the benefit of the people, can be entitled to retain them in ignorance and darkness.

These principles, which were vindicated by the generous Sydney, at the expence of his blood, and to which Locke gave the authority of his name, were afterwards developed with greater force, precision, and extent by Rousseau, whose glory it is to have placed them among those truths henceforth impossible to be forgotten or disputed.

Man is subject to wants, and he has faculties to provide for them; and from the application of these faculties, differently modified and distributed, a mass of wealth is derived, destined to supply the wants of the community. But what are the principles by which the formation or allotment, the preservation or consumption, the increase or diminution of this wealth is governed? What are the laws of that equilibrium between the wants and resources of men which is continually tending to establish itself; and from which results, on the one hand, a greater facility of providing for those wants, and of consequence an adequate portion of general felicity, when wealth increases, till it has reached its highest degree of advancement; and on the other, as wealth diminishes, greater difficulties, and of consequence proportionate misery and wretchedness, till abstinence or depopulation shall have again restored the balance; How, in this astonishing multiplicity of labours and their produce, of wants and resources; in this alarming, this terrible complication of interests, which connects the subsistence and well-being of an obscure individual with the generalsystem of social existence, which renders him dependent on all the accidents of nature and every political event, and extends in a manner to the whole globe his faculty of experiencing privations or enjoyments; how is it that, in this seeming chaos, we still perceive, by a general law of the moral world, the efforts of each individual for himself conducing to the good of the whole, and, notwithstanding the open conflict of inimical interests, the public welfare requiring that each shouldund erstand his own interest, and be able to parsue it freely and uncontrouled?

Hence it appears to be one of the rights of man that he should employ his faculties, dispose of his wealth, and provide for his wants in whatever manner he shall think best. The general interest of the society, so far from restraining him in this respect, forbids, on the contrary, every such attempt; and in this department of public administration, the care of securing to every man the rights which he derives from nature, is the only sound policy, the only controul which the general will can exercise over the individuals of the community.

But this principle acknowledged, there are still duties incumbent upon the administrators of the general will, the sovereign authority. It is for this authority to establish the regulations which are destined to ascertain, in exchanges of every kind, the weight, the bulk, the length, and quantity of things to be exchanged.

It is for this authority to ordain a common standard of valuation, that may apply to all commodities and facilitate the calculation of their valuations and comparison, and which, bearing itself an intrinsic value, may be employed in all cases as the medium of exchange; a regulation without which commerce, restrained to the mere operations of barter, cannot acquire the necessary activity.

The growth of every year presents us with a supererogatory value, which is deslined neither to remunerate the labour of which this growth is the fruit, nor to supply the stock which is to secure an equal and more abundant growth in time to come. The possessor of this supererogatory value does not owe it immediately to his labour, and possesses it independently of the daily and indispensible use of his faculties for the supply of his wants. This supererogatory growth is therefore the stock to which the sovereign authority may have recourse without injuring the rights of any, to supply the expences which are requisite for the security of the state, its intrific tranquillity, the preservation of the rights of all the exercise of the authorities instituted for the establishment or administration of law, in fine of the maintenance through all its branches of the public prosperity. 

There are certain operations, establishments, and institutions, beneficial to the community at large, which it is the office of the community to introduce, direct, and superintend, and which are calculated to supply the defects of personal inclination, and to parry the struggle of opposite interests, whether for the improvement of agriculture, industry, and commerce, or to prevent or diminish the evils entailed on our nature, or those which accident is continually accumulating upon us.

Till the commencement of the epoch we are now considering, and even for some time after, these objects had been abandoned to chance, to the rapacity of governments, to the artifices of pretenders, or to the prejudices and partial interests of the powerful classes of society; but a disciple of Descartes, the illustrious and unfortunate John de Witt, perceived how necessary it was that political economy, like every other science, should be governed by the principles of philosophy and subjected to the rules of a rigid calculation.

It made however little progress, till the peace of Utrecht promised to Europe a durable tranquillity. From this period, neglected as it had hitherto been, it became a subject of almost general attention; and by Stuart, Smith, and particularly by the French economists, it was suddenly elevated, at least as to precision and purity of principles, to a degree of perfection, not to have been expected after the long and total indifference which had prevailed upon the subject.

The cause however of so unparalleled a progress is chiefly to be found in the advancement of that branch of philosophy comprehended in the term metaphysics, taking the word in its most extensive signification.

Descartes had restored this branch of philosophy to the dominion of reason. He perceived the propriety of deducing it from those simple and evident truths which are revealed to us by an investigation of the operations of the mind. But scarcely had he discovered this principle than his eager imagination led him to depart from it, and philosophy appeared for a time to have resumed its independence only to become the prey of new errors. 

At length Locke made himself master of the proper clew. He shewed that a precise and accurate analysis of ideas, reducing them to ideas earlier in their origin or more simple in their structure, was the only means to avoid the being lost in a chaos of notions incomplete, incoherent, and undetermined, disorderly because suggested by accident, and afterwards entertained without reflecting on their nature.

He proved by this analysis, that the whole circle of our ideas results merely from the operations of our intellect upon the sensations we have received, or more accurately speaking, are compounded of sensations offering themselves simultaneously to the memory, and after such a manner, that the attention is fixed and the perception bounded to a particular branch or view of the sensations themselves.

He shewed that by taking one single word to represent one single idea, properly analised and defined, we are enabled to recal constantly the same idea, that is, the same simultaneous result of certain simple ideas, and of consequence can introduce this idea into a train of reasoning without risk of misleading ourselves.
 

On the contrary, if our words do not represent fixed and definite ideas, they will at different times suggest different ideas to the mind and become the most fruitful source of error.

In fine, Locke was the first who ventured to prescribe the limits of the human understanding, or rather to determine the nature of the truths it can ascertain and the objects it can embrace.

It was not long before this method was adopted by philosophers in general, in treating of morals and politics, by which a degree of certainty was given to those sciences little inferior to that which obtained in the natural sciences admitting only of such conclusions as could be proved, separating these from doubtful notions, and content to remain ignorant of whatever is out of the reach of human comprehension.
 

In the same manner, by analysing the faculty of experiencing pain and pleasure, men arrived at the origin of their notions of morality, and the foundation of those general principles which form the necessary and immutable laws of justice; and consequently discovered the proper motives of conforming their conduct to those laws, which, being deduced from the nature of our feeling, may not improperly be called our moral constitution.

The same system became, in a manner, a general instrument of acquiring knowledge. It was employed to ascertain the truths of natural philosophy, to try the facts of history, and to give laws to taste. In a word, the process of the human mind in every species of enquiry was regulated by this principle; and it is this latest effort of science which has placed an everlasting barrier between the human race and the old mistakes of its infancy, that will for ever preserve us from a relapse into former ignorance, since it has prepared the means of undermining not only our present errors, but all those by which they may be replaced, and which will succeed each other only to possess a feeble and temporary influence.

Ainsi, l'on vit disparaître, devant des principes si simples, ces idées d'un contrat entre un peuple et ses magistrats, qui ne pourrait être annulé que par un consentement mutuel, ou par l'infidélité d'une des parties ; et cette opinion moins servile, mais non moins absurde, qui enchaînait un peuple aux formes de constitution une fois établies, comme si le droit de les changer n'était pas la première garantie de tous les autres ; comme si les institutions humaines, nécessairement défectueuses et susceptibles d'une perfection nouvelle à mesure que les hommes s'éclairent, pouvaient être con. damnées à une éternelle durée de leur enfance. Ainsi, l'on se vit obligé de renoncer à cette politique astucieuse et fausse, qui, oubliant que tous les hommes tiennent des droits égaux de leur nature même, voulait tantôt mesurer l'étendue de ceux qu'il fallait leur laisser, sur la grandeur du territoire, sur la température du climat, sur le caractère national, sur la richesse du peuple, sur le degré de perfection du commerce et de l'industrie ; et tantôt partager, avec inégalité, ces mêmes droits entre diverses classes d'hommes, en accorder à la naissance, à la richesse, à la profession, et créer ainsi des intérêts contraires, des pouvoirs opposés, pour établir ensuite entre eux un équilibre que ces institutions seules ont rendu nécessaire, et qui n'en corrige même pas les influences dangereuses.

Ainsi, l'on n'osa plus partager les hommes en deux races différentes, dont l'une est destinée à gouverner, l'autre à obéir ; l'une à mentir, l'autre à être trompée ; on fut obligé de reconnaître que tous ont un droit égal de s'éclairer sur tous leurs intérêts, de connaître toutes les vérités ; et qu'aucun des pouvoirs établis par eux sur eux-mêmes, ne peut avoir le droit de leur en cacher aucune.
 

Ces principes que le généreux Sydney paya de son sang, auxquels Locke attacha l'autorité de son nom, furent développés depuis par Rousseau, avec plus de précision, d'étendue et de force, et il mérita la gloire de les placer au nombre de ces vérités qu'il n'est plus permis, ni d'oublier, ni de combattre.
 

L'homme a des besoins et des facultés pour y pourvoir ; de ces facultés et de leur produit, différemment modifiés, distribués, résulte une masse de richesses destinées à subvenir aux besoins communs. Mais quelles sont les lois suivant lesquelles ces richesses se forment ou se partagent, se conservent ou se consomment, s’accroissent ou se dissipent ? Quelles sont aussi les lois de cet équilibre, qui tend sans cesse à s'établir entre les besoins et les ressources, et d'où il résulte plus de facilité pour satisfaire les besoins, par conséquent, plus de bien-être quand la richesse augmente, jusqu'à ce qu'elle ait atteint le terme de son accroissement ; et, au contraire, quand la richesse diminue, plus de difficultés, et par conséquent de la souffrance, jusqu'à ce que la dépopulation et les privations aient ramené le niveau ? Comment, dans cette étonnante variété de travaux et de produits, de besoins et de ressources ; dans cette effrayante complication d'intérêts, qui lient au système général des sociétés, la subsistance, le bien-être d'un individu isolé ; qui le rend dépendant de tous les accidents de la nature, de tous les événements de la politique ; qui étend, en quelque sorte, au globe entier sa faculté d'éprouver, on des jouissances, ou des privations ; comment, dans ce chaos apparent, voit-on néanmoins, par une loi générale du monde moral, les efforts de chacun pour lui-même servir au bien-être de tous, et, malgré le choc extérieur des intérêts opposés, l'intérêt commun exiger que chacun sache entendre le sien propre, et puisse y obéir sans obstacle ?
 
 

Ainsi, l'homme doit pouvoir déployer ses facultés, disposer de ses richesses, pourvoir à ses besoins avec une liberté entière. L'intérêt général de chaque société, loin d'ordonner d'en restreindre l'exercice, défend au contraire d'y porter atteinte, et dans cette partie de l'ordre publie, le soin d'assurer à chacun les droits qu'il tient de la nature est encore à la fois la seule politique utile, le seul devoir de la puissance sociale, et le seul droit que la volonté générale puisse légitimement exercer sur les individus.

Mais ce principe une fois reconnu, il reste encore à la puissance publique des devoirs à remplir ; elle doit établir des mesures reconnues par la loi, qui servent à constater, dans les échanges de toute espèce, le poids, le volume, l'étendue, la longueur des choses échangées.
 

Elle doit créer une mesure commune des valeurs qui les représente toutes ; qui facilite le calcul de leurs variations et de leurs rapports ; qui, ayant ensuite elle-même sa propre valeur, puisse être échangée contre toutes les choses susceptibles d'en avoir une ; moyen sans lequel le commerce, borné à des échanges directs, ne peut acquérir que bien peu d'activité et d'étendue.

La reproduction de chaque année offre une portion disponible, puisqu'elle n'est destinée à payer, ni le travail dont cette reproduction est le fruit, ni celui qui doit assurer une nouvelle reproduction égale ou plus abondante. Le possesseur de cette portion disponible ne la doit point immédiatement à son travail ; il la possède indépendamment de l'usage qu'il peut faire de ses facultés, pour subvenir à ses besoins. C'est donc sur cette portion disponible de la richesse annuelle que, sans blesser aucun droit, la puissance sociale peut établir les fonds nécessaires aux dépenses qu'exigent la sûreté de l'État, sa tranquillité intérieure, la garantie des droits des individus, l'exercice des autorités instituées pour la formation ou pour l'exécution de la loi ; enfin, le maintien de la prospérité publique.
 
 

Il existe des travaux, des établissements, des institutions utiles à la société générale, qu'elle doit établir, diriger ou surveiller, et qui suppléent à ce que les volontés personnelles et le concours des intérêts individuels ne peuvent faire immédiatement, soit pour les progrès de l'agriculture, de l'industrie, du commerce, soit pour prévenir, pour atténuer les maux inévitables de la nature, ou ceux que des accidents imprévus viennent y ajouter.
 

Jusqu'à l'époque dont nous parlons, et même longtemps après, ces divers objets avaient été abandonnés au hasard, à l'avidité des gouvernements, à l'adresse des charlatans, aux préjugés ou à l'intérêt de toutes les classes puissantes ; mais un disciple de Descartes, l'illustre et malheureux Jean de Witt, sentit que l'économie politique devait, comme toutes les sciences, être soumise aux principes de la philosophie et à la précision du calcul.
 

Elle fit peu de progrès jusqu'au moment où la paix d'Utrecht promit à l'Europe une tranquillité durable. À cette époque, on vit les esprits prendre une direction presque générale vers cette étude jusqu'alors négligée ; et cette science nouvelle a été portée par Stewart, par Smith, et surtout par les économistes français, du moins, pour la précision et la pureté des principes, à un degré qu'on ne pouvait espérer d'atteindre si promptement, après une si longue indifférence.
 

Mais ces progrès dans la politique et dans l'économie politique avaient pour première cause ceux de la philosophie générale ou de la métaphysique, en prenant ce mot dans son sens le plus étendu.

Descartes l'avait réunie au domaine de la raison ; il avait bien senti qu'elle devait émaner tout entière des vérités évidentes et premières que l'observation des opérations de notre esprit devait nous révéler. Mais bientôt son imagination impatiente l'écarta de cette même route qu'il avait tracée, et la philosophie parut quelque temps n'avoir repris son indépendance que pour s'égarer dans des erreurs nouvelles.
 

Enfin, Locke saisit le fil qui devait la guider ; il montra qu'une analyse exacte, précise, des idées, en les réduisant successivement à des idées plus immédiates dans leur origine, ou plus simples dans leur composition, était le seul moyen de ne pas se perdre dans ce chaos de notions incomplètes, incohérentes, indéterminées, que le hasard nous a offertes sans ordre, et que nous avons reçues sans réflexion.

Il prouva, par cette analyse même, que toutes sont le résultat des opérations de notre intelligence sur les sensations que nous avons reçues, ou, plus exactement encore, des combinaisons de ces sensations que la mémoire nous représente simultanément, mais de manière que l'attention s'arrête, que la perception se borne à une partie seulement de chacune de ces sensations composées.

Il fait voir qu'en attachant un mot à chaque idée, après l'avoir analysée et circonscrite, nous parvenons à nous la rappeler constamment la même, c'est-à-dire, toujours formée des mêmes idées plus simples, toujours renfermée dans les mêmes limites, et par conséquent, à pouvoir l'employer dans une suite de raisonnements, sans jamais risquer de nous égarer.

Au contraire, si les mots ne répondent point à une idée bien déterminée, ils peuvent successivement en réveiller de différentes dans un même esprit ; et telle est la source la plus féconde de nos erreurs.

Enfin, Locke osa, le premier, fixer les bornes de l'intelligence humaine, ou plutôt déterminer la nature des vérités qu'elle peut connaître, des objets qu'elle peut embrasser.

Cette méthode devint bientôt celle de tous les philosophes ; et c'est en l'appliquant à la morale, à la politique, à l'économie publique, qu'ils sont parvenus à suivre dans ces sciences une marche presque aussi sûre que celle des sciences naturelles ; à n'y plus admettre que des vérités prouvées ; à séparer ces vérités de tout ce qui peut rester encore de douteux et d'incertain ; à savoir ignorer, enfin, ce qu'il est encore, ce qu'il sera toujours impossible de connaître.

[Ainsi, l'analyse de nos sentiments nous fait découvrir, dans le développement de notre faculté d'éprouver du plaisir et de la douleur, l'origine de nos idées morales, le fondement des vérités générales qui, résultant de ces idées, déterminent les lois immuables, nécessaires, du juste et de l'injuste ; enfin, les motifs d'y conformer notre conduite, puisés dans la nature même de notre sensibilité, dans ce qu'on pourrait appeler, en quelque sorte, notre constitution morale.]

Cette même méthode devint, en quelque sorte, un instrument universel ; on apprit à l'employer pour perfectionner celle des sciences physiques, pour en éclaircir les principes, pour en apprécier les preuves ; on l'étendit à l'examen des faits, aux règles du goût. Ainsi, cette métaphysique s'appliquant à tous les objets de l'intelligence humaine, analysait les procédés de l'esprit dans chaque genre de connaissances, faisait connaître la nature des vérités qui en forment le système, celle de l'espèce de certitude qu'on peut y atteindre ; et c'est ce dernier pas de la philosophie qui a mis, en quelque sorte, une barrière éternelle entre le genre humain et les vieilles erreurs de son enfance ; qui doit l'empêcher d'être jamais ramené à son ancienne ignorance par des préjugés nouveaux, comme il assure la chute de tous ceux que nous conservons, sans peut-être les connaître tous encore ; et de ceux même qui pourront les remplacer, mais pour ne plus avoir qu'une faible influence et une existence éphémère.

In Germany, however, a man of a vast and profound genius laid the foundations of a new theory. His bold and ardent mind disdained to rest on the suppositions of a modest philosophy, which left in doubt those great questions of spiritual existence, the immortality of the soul, the free will of man and of God, and the existence of vice and misery in a world framed by a being whose infinite wisdom and goodness might be supposed to banish them from his creation. Leibnitz cut the knot which a timid system had in vain attempted to unloose. He supposed the universe to be composed of atoms, which were simple, eternal, and equal in their nature. He contended that the relative situation of each of these atoms, with respect to every other, occasioned the qualities distinguishing it from all others; the human soul, and the minutest particle of a mass of stone, being each of them equally one of these atoms, differing only in consequence of the respective places they occupy in the order of the universe.

He maintained that, of all the possible combinations which could be formed of these atoms, an infinitely wise being had preferred, and could not but prefer, the most perfect; and that if, in that which exists, we are afflicted with the presence of vice and misery, still there is no other possible combination that would not be productive of greater evils.

Such was the nature of this theory, which, supported by the countrymen of Leibnitz, retarded in that part of the world the progress of philosophy. Meanwhile there started up in England an entire sect, who embraced with zeal, and defended with eloquence, the scheme of optimism; but, less acute and profound than Leibnitz, who founded his system upon the supposition of its being impossible, from his very nature, that an all-wise being should plan any other universe than that which was best, they endeavoured to discover in the terraqueous part of the world the proofs of this perfection, and losing thereby the advantages which attach to this system considered generally and in the abstract, they frequently fell into absurd and ridiculous reasonings.

Meanwhile, in Scotland, other philosophers, not perceiving that the analysis of the developement of our actual faculties led to a principle which gave to the morality of our actions a basis sufficiently solid and pure, attributed to the human soul a new faculty, distinct from those of sensation and reason, tho’ at the sametime combining itself with them; of the existence of which they could advance no other proof, than that it was impossible to form a consistent theory without it. In the history of these opinions it will be seen, that, while they have proved injurious to the progress of philosophy itself, they have tended to give a more rapid and extensive spread to ideas truly scientific, connected with philosophy.

Hitherto we have exhibited the state of philosophy only among men by whom it has in a manner been studied, investigated, and perfected. It remains to mark its influence on the general opinion, and to show, that, while it arrived at the certain and infallible means of discovering and recognising truth, reason at the same time detected the delusions into which it had so often been led by a respect for authority or a misguided imagination, and undermined those prejudices in the mass of individuals which had so long been the scourge, at once corrupting and inflicting calamity upon the human species.

The period at length arrived when men no longer feared openly to avow the right, so long withheld, and even unknown, of subjecting every opinion to the test of reason, or, in other words, of employing, in their search after truth, the only means they possess for its discovery. Every man learned, with a degree of pride and exultation, that nature had not condemned him to see with the eyes and to conform his judgment to the caprice of another. The superstitions of antiquity accordingly disappeared; and the debasement of reason to the shrine of supernatural faith, was as rarely to be found in society as in the circles of metaphysics and philosophy.

A class of men speedily made their appearance in Europe, whose object was less to discover and investigate truth, than to disseminate it; who, pursuing prejudice through all the haunts and asylums in which the clergy, the schools, governments, and privileged corporations had placed and protected it, made it their glory rather to eradicate popular errors, than add to the stores of human knowledge; thus aiding indirectly the progress of mankind, but in a way neither less arduous, nor less beneficial.

In England, Collins and Bolingbroke, and in France, Bayle, Fontenelle, Montesquieu, and the respective disciples of these celebrated men, combated on the side of truth with all the weapons that learning, wit and genius were able to furnish; assuming every shape, employing every tone, from the sublime and pathetic to pleasantry and satire, from the most laboured investigation to an interesting romance or a fugitive essay: accommodating truth to those eyes that were too weak to bear its effulgence; artfully caressing prejudice, the more easily to strangle it; never aiming a direct blow at errors, never attacking more than one at a time, nor even that one in all its fortresses; sometimes soothing the enemies of reason, by pretending to require in religion but a partial toleration, in politics but a limited freedom; siding with despotism, when their hostilities were directed against the priesthood, and with priests when their object was to unmask the despot; sapping the principle of both these pests of human happiness, striking at the root of both these baneful trees, while apparently wishing for the reform only of glaring abuses and seemingly confining themselves to lopping off the exuberant branches; sometimes representing to the partisans of liberty, that superstition, which covers despotism as with a coat of mail, is the first victim which ought to be sacrificed, the first chain that ought to be broken; and sometimes denouncing it to tyrants as the true enemy of their power, and alarming them with recitals of its hypocritical conspiracies and its sanguinary vengeance. These writers, meanwhile, were uniform in their vindication of freedom of thinking and freedom of writing, as privileges upon which depended the salvation of mankind. They declaimed, without cessation or weariness, against the crimes both of fanatics and tyrants, exposing every feature of severity, of cruelty, of oppression, whether in religion, in administration, in manners, or in laws; commanding kings, soldiers, magistrates and priests, in the name of truth and of nature, to respect the blood of mankind; calling upon them, with energy, to answer for the lives still profusely sacrificed in the field of battle or by the infliction of punishments, or else to correct this inhuman policy, this murderous insensibility; and lastly, in every place, and upon every occasion, rallying the friends of mankind with the cry of reason, toleration, and humanity.

Such was this new philosophy. Accordingly to those numerous classes that exist by prejudice, that live upon error, and that, but for the credulity of the people, would be powerless and extinct, it became a common object of detestation. It was every where received, and every where persecuted, having kings, priests, nobles and magistrates among the number of its friends as well as of its enemies. Its leaders, however, had almost always the art to elude the pursuits of vengeance, while they exposed themselves to hatred; and to screen themselves from persecution, while at the same time they sufficiently discovered themselves not to lose the laurels of their glory.

It frequently happened that a government rewarded them with one hand, and with the other paid their enemies for calumniating them; proscribed them, yet was proud that fortune had honoured its dominions with their birth; punished their opinions, and at the same time would have been ashamed not to be supposed a convert thereto.

These opinions were shortly embraced by every enlightened mind. By some they were openly avowed, by others concealed under an hypocrisy more or less apparent, according to the timidity or firmness of their characters, and accordingly as they were influenced by the contending interests of their profession or their vanity. At length the pride of ranging on the side of erudition became predominant; and sentiments were professed with the slightest caution, which, in the ages that preceded, had been concealed by the most profound dissimulation.

Look to the different countries of Europe into which, from the prevalence of the French language, become almost universal, it was impossible for the inquisitorial spirit of governments and priests to prevent this philosophy from penetrating, and we shall see how rapid was its progress. Meanwhile we cannot overlook how artfully tyranny and superstition employed against it all the arguments invented to prove the weakness and fallibility of human judgment, all the motives which the knowledge of man had been able to suggest for mistrusting his senses, for doubting and scrutinizing his reason; thus converting scepticism itself into an instrument by which to aid the cause of credulity.

This admirable system, so simple in its principles, which considers an unrestricted freedom as the surest encouragement to commerce and industry, which would free the people from the destructive pestilence, the humiliating yoke of those taxes apportioned with so great inequality, levied with so improvident an expence, and often attended with circumstances of such attrocious barbarity, by substituting in their room a mode of contribution at once equal and just, and of which the burthen would scarcely be felt; this theory, which connects the power and wealth of a state with the happiness of individuals and a respect for their rights, which unites by the bond of a common felicity the different classes into which societies naturally divide themselves; this benevolent idea of a fraternity of the whole human race, of which no national interest shall ever more intervene to disturb the harmony; these principles, so attractive from the generous spirit that pervades them, as well as from their simplicity and comprehension, were propagated with enthusiasm by the French economists.

The success of these writers was less rapid and less general than that of the philosophers; they had to combat prejudices more refined, errors more subtle. Frequently they were obliged to enlighten before they could undeceive, and to instruct good sense before they could venture to appeal to it as their judge.

If, however, to the whole of their doctrine they gained but a small number of converts; if the general nature and inflexibility of their principles were discouraging to the minds of many; if they injured their cause by affecting an obscure and dogmatical style, by too much postponing the interests of political freedom to the freedom of commerce, and by insisting too magisterially upon certain branches of their system, which they had not sufficiently investigated; they nevertheless succeeded in rendering odious and contemptible that dastardly, that base and corrupt policy which places the prosperity of a nation in the subjection and impoverishment of its neighbours, in the narrow views of a code of prohibitions, and in the petty calculations of a tyrannical revenue.

But the new truths with which genius had enriched philosophy and the science of political economy, adopted in a greater or less degree by men of enlightened understandings, extended still farther their salutary influence.

The art of printing had been applied to so many subjects, books had so rapidly increased, they were so admirably adapted to every taste, every degree of information, and every situation of life, they afforded so easy and frequently so delightful an instruction, they had opened so many doors to truth, which it was impossible ever to close again, that there was no longer a class or profession of mankind from whom the light of knowledge could absolutely be excluded. Accordingly, though there still remained a multitude of individuals condemned to a forced or voluntary ignorance, yet was the barrier between the enlightened and unenlightened portion of mankind nearly effaced, and an insensible gradation occupied the space which separates the two extremes of genius and stupidity.
 

Thus there prevailed a general knowledge of the natural rights of man; the opinion even that these rights are inalienable and imprescriptible; a decided partiality for freedom of thinking and writing; for the enfranchisement of industry and commerce; for the melioration of the condition of the people; for the repeal of penal statutes against religious nonconformists; for the abolition of torture and barbarous punishments; the desire of a milder system of criminal legislation; of a jurisprudence that should give to innocence a complete security; of a civil code more simple, as well as more conformable to reason and justice; indifference as to systems of religion, considered at length as the offspring of superstition, or ranked in the number of political inventions; hatred of hypocrisy and fanaticism; contempt for prejudices; and lastly, a zeal for the propagation of truth; These principles, passing by degrees from the writings of philosophers into every class of society whose instruction was not confined to the catechism and the scriptures, became the common creed, the symbol and type of all men who were not idiots on the one hand, or, on the other, assertors of the policy of Machiavelism. In some countries these sentiments formed so nearly the general opinion, that the mass even of the people seemed ready to obey their dictates and act from their impulse.

The love of mankind, that is to say, that active compassion which interests itself in all the afflictions of the human race, and regards with horror whatever, in public institutions, in the acts of government, or the pursuits of individuals, adds to the inevitable misfortunes of nature, was the necessary result of these principles. It breathed in every work, it prevailed in every conversation, and its benign effects were already visible even in the laws and administration of countries subject to despotism.

Cependant, en Allemagne, un homme d'un génie vaste et profond jetait les fondements d'une doctrine nouvelle. Son imagination ardente, audacieuse, ne put se reposer dans une philosophie modeste, qui laissait subsister des doutes sur ces grandes questions de la spiritualité ou de la persistance de l'âme humaine, de la liberté de l'homme ou de celle de Dieu, de l'existence de la douleur et du crime dans un univers gouverné par une intelligence toute-puissante, dont la sagesse, la justice et la bonté semblent devoir exclure le crime et la douleur. Il trancha le nœud qu'une sage analyse n'aurait pu dénouer. Il composa l'univers d'êtres simples, indestructibles, égaux par leur nature. Les rapports de chacun de ces êtres avec chacun de ceux qui entrent avec lui dans le système de l'univers, déterminent ses qualités par lesquelles il diffère de tous les autres ; l'âme humaine et le dernier atome qui termine un bloc de pierre sont également une de ces monades. Elles ne diffèrent que par la place différente qu'elles occupent dans l'ordre de l'univers.

Parmi toutes les combinaisons possibles de ces êtres, une intelligence infinie en a préféré une, et n'en a pu préférer qu'une seule, la plus parfaite de toutes. Si celle qui existe nous afflige par le spectacle du malheur et du crime, c'est que toute autre combinaison eût encore présenté des résultats plus douloureux.
 

Nous exposerons ce système, qui, adopté, ou du moins soutenu par les compatriotes de Leibnitz, a retardé parmi eux les progrès de la philosophie. On vit une école entière de philosophes anglais embrasser avec enthousiasme et défendre avec éloquence la doctrine de l'optimisme ; mais moins adroits et moins profonds que Leibnitz, qui la fondait principalement sur ce qu'une intelligence toute-puissante, par la nécessité même de sa nature, n'avait pu choisir que le meilleur des univers possibles, ils cherchèrent, dans l'observation du nôtre, la preuve de sa supériorité ; et perdant tous les avantages que conserve ce système, tant qu'il reste dans une abstraite généralité, ils s'égarèrent trop souvent dans des détails ou révoltants, ou ridicules.

Cependant, en Écosse, d'autres philosophes, ne trouvant point que l'analyse du développement de nos facultés réelles conduisît à un principe qui donnât à la moralité de nos actions une base assez pure, assez solide, Imaginèrent d'attribuer à l'âme humaine une faculté nouvelle, distincte de celles de sentir ou de raisonner, mais se combinant avec elles, faculté dont ils ne prouvaient l'existence qu'en assurant qu'il leur était impossible de s'en passer. Nous ferons l'histoire de ces opinions, et nous montrerons comment, si elles ont nui à la marche de la philosophie, elles ont été utiles à la propagation plus rapide des idées philosophiques.
 

Jusqu'ici nous n'avons montré les progrès de la philosophie que dans les hommes qui l'ont cultivée approfondie, perfectionnée : il nous reste à faire voir quels ont été ses effets sur l'opinion générale, et comment, tandis que, s'élevant enfin à la connaissance de la méthode certaine de découvrir, de reconnaître la vérité, la raison apprenait à se préserver des erreurs où le respect pour l'autorité et l'imagination l'avaient si souvent entraînée : elle détruisait en même temps, dans la masse générale des individus, les préjugés qui ont si longtemps affligé et corrompu l'espèce humaine.
 

Il fut enfin permis de proclamer hautement ce droit si longtemps méconnu, de soumettre toutes les opinions à notre propre raison, c'est-à-dire, d'employer, pour saisir la vérité, le seul instrument qui nous ait été donné pour la reconnaître. Chaque homme apprit, avec une sorte d'orgueil, que la nature ne l'avait pas absolument destiné à croire sur la parole d'autrui ; et la superstition de l'antiquité, l'abaissement de la raison devant le délire d'une foi surnaturelle, disparurent de la société comme de la philosophie.
 
 

Il se forma bientôt en Europe une classe d'hommes moins occupés encore de découvrir ou d'approfondir la vérité, que de la répandre ; qui, se dévouant à poursuivre les préjugés dans les asiles où le clergé, les écoles, les gouvernements, les corporations anciennes les avaient recueillis et protégés, mirent leur gloire à détruire les erreurs populaires, plutôt qu'à reculer les limites des connaissances humaines ; manière indirecte de servir à leurs progrès, qui n'était ni la moins périlleuse, ni la moins utile.

En Angleterre, Collins et Bolingbroke ; en France, Bayle, Fontenelle, Voltaire, Montesquieu et les écoles formées par ces hommes célèbres, combattirent en faveur de la vérité, employant tour à tour toutes les armes que l'érudition, la philosophie, l'esprit, le talent d'écrire peuvent fournir à la raison ; prenant tous les tons, employant toutes les formes, depuis la plaisanterie jusqu'au pathétique, depuis la compilation la plus savante et la plus vaste, jusqu'au roman, ou au pamphlet du jour ; couvrant la vérité d'un voile qui ménageait les yeux trop faibles, et laissait le plaisir de la deviner ; caressant les préjugés avec adresse, pour leur porter des coups plus certains ; n'en menaçant presque jamais, ni plusieurs à la fois, ni même un seul tout entier ; consolant quelquefois les ennemis de la raison, en paraissant ne vouloir dans la religion qu'une demi-tolérance, dans la politique qu'une demi-liberté ; ménageant le despotisme quand ils combattaient les absurdités religieuses, et le culte quand ils s'élevaient contre la tyrannie ; attaquant ces deux fléaux dans leur principe, quand même ils paraissaient n'en vouloir qu'à des abus révoltants ou ridicules, et frappant ces arbres funestes dans leurs racines, quand ils semblaient se borner à élaguer quelques branches égarées ; tantôt apprenant aux amis de la liberté que la superstition, qui couvre le despotisme d'un bouclier impénétrable, est la première victime qu'ils doivent immoler, la première chaîne qu'ils doivent briser ; tantôt, au contraire, la dénonçant aux despotes comme la véritable ennemie de leur pouvoir, et les effrayant du tableau de ses hypocrites complots et de ses fureurs sanguinaires ; mais ne se lassant jamais de réclamer l'indépendance de la raison, la liberté d'écrire comme le droit, comme le salut du genre humain ; s'élevant, avec une infatigable énergie, contre tous les crimes du fanatisme et de la tyrannie ; poursuivant dans la religion, dans l'administration, dans les mœurs, dans les lois, tout ce qui portait le caractère dé l'oppression, de la dureté, de la barbarie ; ordonnant, au nom de la nature, aux rois, aux guerriers, aux magistrats, aux prêtres, de respecter le sang des hommes ; leur reprochant, avec une énergique sévérité, celui que leur politique ou leur indifférence prodiguait encore dans les combats ou dans les supplices ; prenant enfin, pour cri de guerre, raison, tolérance, humanité.
 

Telle fut cette philosophie nouvelle, objet de la haine commune de ces classes nombreuses qui n'existent que par les préjugés, ne vivent que d'erreurs, ne sont puissantes que par la crédulité ; presque partout accueillie, mais persécutée ; ayant des rois, des prêtres, des grands, des magistrats pour disciples et pour ennemis. Ses chefs eurent presque toujours l'art d'échapper à la vengeance, en s'exposant à la haine ; de se cacher à la persécution, en se montrant assez pour ne >rien perdre de leur gloire.
 
 

Souvent un gouvernement les récompensait d'une main, en payant de l'autre leurs calomniateurs ; les proscrivait, et s'honorait que le sort eût placé leur naissance sur son territoire ; les punissait de leurs opinions, et aurait été humilié d'être soupçonné de ne pas les partager.
 

Ces opinions devaient donc devenir bientôt celles de tous les hommes éclairés, avouées par les uns, dissimulées par les autres avec une hypocrisie plus ou moins transparente suivant que leur caractère était plus ou moins timide, et qu'ils cédaient aux intérêts opposés de leur profession ou de leur vanité. Mais déjà cet intérêt de leur vanité était assez puissant, pour qu'au lieu de cette dissimulation profonde des âges précédents on se contentât pour soi-même et souvent pour les autres d'une réserve prudente.
 

Nous suivrons les progrès de cette philosophie dans les diverses parties de l'Europe, où l'inquisition des gouvernements et des prêtres ne, put empêcher la langue française, devenue presque universelle, de la porter avec rapidité. Nous montrerons avec quelle adresse la politique et la superstition employèrent contre elle tout ce que la connaissance de l'homme peut offrir de motifs pour se défier de sa raison, d'arguments pour en montrer les bornes et la faiblesse ; et comment on sut faire servir le pyrrhonisme même à la cause de la crédulité.
 
 

Ce système si simple, qui plaçait dans la jouissance d'une liberté indéfinie les plus sûrs encouragements du commerce et de l'industrie, qui délivrait les peuples du fléau destructeur et du joug humiliant de ces impôts répartis avec tant d'inégalité, levés avec tant de dépense, et souvent avec tant de barbarie, pour y substituer une contribution juste, égale et presque insensible ; cette théorie qui liait la véritable puissance et la richesse des États au bien-être des individus, et au respect pour leurs droits ; qui unissait, par le lien d'une félicité commune, les différentes classes entre lesquelles ces sociétés se divisent naturellement ; cette idée si consolante d'Une fraternité du genre humain, dont aucun intérêt national ne devait plus troubler la douce harmonie ; ces principes, séduisants par leur générosité comme par leur simplicité et leur étendue, furent propagés avec enthousiasme par les économistes français. 
 
 

Leur succès fut moins prompt, moins général que celui des philosophes ; ils avaient à combattre des préjugés moins grossiers, des erreurs plus subtiles. Ils avaient besoin d'éclairer avant de détromper, et d'instruire le bon sens avant de le prendre pour juge.

Mais s'ils n'ont pu faire à l'ensemble de leur doctrine qu'un petit nombre de partisans ; si on a été effrayé de la généralité de leurs maximes, de l'inflexibilité de leurs principes ; s'ils ont nui eux-mêmes à la bonté de leur cause, en affectant un langage obscur et dogmatique ; en paraissant trop oublier, pour les intérêts de la liberté du commerce, ceux de la liberté politique ; en présentant, d'une manière trop absolue et trop magistrale, quelques portions de leur système qu'ils n'avaient point assez approfondies, du moins ils sont parvenus à rendre odieuse et méprisable cette politique lâche, astucieuse et corrompue, qui plaçait la prospérité d'une nation dans l'appauvrissement de ses voisins, dans les vues étroites d'un régime prohibitif, dans les petites combinaisons d'une fiscalité tyrannique.

Mais les vérités nouvelles dont le génie avait enrichi la philosophie, la politique et l'économie publique, adoptées avec plus ou moins d'étendue par les hommes éclairés, portèrent plus loin leur salutaire influence.

L'art de l'imprimerie s'était répandu sur tant de points ; il avait tellement multiplié les livres ; on avait su les proportionner si bien à tous les degrés de connaissances, d'application, et même de fortune ; on les avait pliés avec tant d'habileté à tous les goûts, à tous les genres d'esprit ; ils présentaient une instruction si facile, souvent même si agréable ; ils avaient ouvert tant de portes à la vérité, qu'il était devenu presque impossible de les lui fermer toutes ; qu'il n'y avait plus de classe, de profession à laquelle on pût l'empêcher de parvenir. Alors, quoiqu'il restât toujours un très grand nombre d'hommes condamnés à une ignorance volontaire ou forcée, la limite tracée entre la portion grossière et la portion éclairée du genre humain s'était presque entièrement effacée, et une dégradation insensible remplissait l'espace qui en sépare les deux extrêmes, le génie et la stupidité.

Ainsi, une connaissance générale des droits naturels de l'homme ; l'opinion même que ces droits sont inaliénables et imprescriptibles ; un vœu fortement prononcé pour la liberté de penser et d'écrire, pour celle du commerce et de l'industrie, pour le soulagement du peuple, pour la proscription de toute loi pénale contre les religions dissidentes, pour l'abolition de la torture et des supplices barbares ; le désir d'une législation criminelle plus douce, d'une jurisprudence qui donnât à l'innocence une entière sécurité, d'un code civil plus simple, plus conforme à la raison et à la nature ; l'indifférence pour les religions, placées enfin au nombre des superstitions ou des inventions politiques ; la haine de l'hypocrisie et du fanatisme ; le mépris des préjugés ; le zèle pour la propagation des lumières ; ces principes passant peu à peu des ouvrages des philosophes dans toutes les classes de la société où l'instruction s'étendait plus loin que le catéchisme et l'écriture, devinrent la profession commune, le symbole de tous ceux qui n'étaient ni machiaviélistes ni imbéciles. Dans quelques pays, ces principes formaient une opinion publique assez générale, pour que la masse même du peuple parût prête à se laisser diriger par elle et à lui obéir. 
 
 
 

Le sentiment de l'humanité, c'est-à-dire, celui d'une compassion tendre, active, pour tous les maux qui affligent l'espèce humaine, d'une horreur pour tout ce qui, dans les institutions publiques, dans les actes du gouvernement, dans les actions privées, ajoutait des douleurs nouvelles aux douleurs inévitables de la nature ; ce sentiment d'humanité était une conséquence naturelle de ces principes ; il respirait dans tous les écrits, dans tous les discours, et déjà son heureuse influence s'était manifestée dans les lois, dans les institutions publiques même des peuples soumis au despotisme.

The philosophers of different nations embracing, in their meditations, the entire interests of man, without distinction of country, of colour, or of sect, formed, notwithstanding the difference of their speculative opinions, a firm and united phalanx against every description of error, every species of tyranny. Animated by the sentiment of universal philanthropy, they declaimed equally against injustice, whether existing in a foreign country, or exercised by their own country against a foreign nation. They impeached in Europe the avidity which stained the shores of America, Africa, and Asia with cruelty and crimes. The philosophers of France and England gloried in assuming the appellation, and fulsilling the duties, of friends to those very negroes whom their ignorant oppressors disdained to rank in the class of men. The French writers bestowed the tribute of their praise on the toleration granted in Russia and Sweden, while Beccaria refuted in Italy the barbarous maxims of Gallic jurisprudence. 

The French also endeavoured to open the eyes of England respecting her commercial prejudices, and her superstitious reverence for the errors of her constitution; while the virtuous Howard remonstrated at the same time with the French upon the cool barbarity which sacrisiced so many human victims in their prisons and hospitals.

Neither the violence nor the corrupt arts of government, neither the intolerance of priests, nor even the prejudices of the people themselves, possessed any longer the fatal power of suppressing the voice of truth; and nothing remained to screen the enemies of reason, or the oppressors of liberty, from the sentence which was about to be pronounced upon them by the unanimous suffrage of Europe.

While the fabric of prejudice was thus tottering to its foundations, a fatal blow was given to it by a doctrine, of which Turgot, Price, and Priestley were the first and most illustrious advocates; it was the doctrine of the infinite perfectibility of the human mind. The consideration of this opinion will fall under the tenth division of our work, where it will be developed with sufficient minuteness. But we shall embrace this opportunity of exposing the origin and progress of a false system of philosophy, to the overthrow of which the doctrine of the perfectibility of man is become so necessary.

The sophistical doctrine to which I allude, derived its origin from the pride of some men, and the selfishness of others. Its real, though concealed object, was to give duration to ignorance, and to prolong the reign of prejudice. The adherents of this doctrine, who have been numerous, sometimes attempted to delude the reason by brilliant paradoxes, or to seduce it by the specious charms of an universal pyrrhonism. Sometimes they assumed the boldness peremptorily to declare, that the advancement of knowledge threatened the most fatal consequences to human happiness and liberty; at other times they declaimed, with pompous enthusiasm, in favour of an imaginary wisdom and sublimity, that disdained the cold progress of analysis, and the tardy mechanical path of experience. Upon one occasion, they were accustomed to speak of philosophy and the abstruse sciences as theories too subtle for the investigation of the human understanding, urged as we are by daily wants, and subjected to the most sudden vicissitudes; at another, they treated them as a mass of blind and idle conjectures, the false estimation of which was sure to disappear from the mind of a man habituated to life and experience. Incessantly did they lament the decay and decrepitude of knowledge, in the midst of its most brilliant progress; the rapid degradation of the human species, at the moment that men were ready to assert their rights and trust to their own understandings; an approaching æra of barbarism, darkness and slavery, when evidence was so perpetually accumulating, that the revival of such an æra was no longer to be feared. They seemed humbled by the advances of their species, either because they could not boast of having contributed to them, or because they saw themselves menaced with a speedy termination of their influence or importance. In the meanwhile, a certain number of intellectual mountabanks, more skilful than those who desperately endeavoured to prop the edisice of declining superstition, attempted, out of the wreck of superstition, to erect a new religious creed which should no longer demand of our reason any more than a sort of formal submission, and which indulged us with a perfect liberty of conscience, provided we would admit some slight fragment of incomprehensibility into our system. A second class of these mountebanks assayed to revive, by means of secret associations, the forgotten mysteries of a fort of oriental theurgy. The errors of the people they left undisturbed: upon their own disciples they entailed new dogmas and new terrors, and ventured to hope, by a process of cunning, to restore the ancient tyranny of the sacerdotal princes of India and Egypt. In the mean time, philosophy, leaning upon the pillar which science had prepared, smiled at their efforts, and saw one attempt vanish after another, as the waves retire from the foot of an immoveable rock.

By comparing the disposition of the public mind, which I have already sketched, with the prevailing systems of government, we shall perceive, without difficulty, that an important revolution was inevitable, and that there were two ways only in which it could take place: either the people themselves would establish a system of policy upon those principles of nature and reason, which philosophy had rendered so dear to their hearts; or government might hasten to supersede this event, by reforming its vices, and governing its conduct by the public opinion. One of these revolutions would be more speedy, more radical, but also more tempestuous; the other less rapid, less complete, but more tranquil; in the one, liberty and happiness would be purchased at the expence of transient evils; in the other, these evils would be avoided; but a part of the enjoyments necessary to a state of perfect freedom, would be retarded in its progress, perhaps, for a considerable period, though it would be impossible in the end that it should not arrive.

The corruption and ignorance of the rulers of nations have preferred, it seems, the former of these modes; and the sudden triumph of reason and liberty has avenged the human race.

The simple dictates of good sense had taught the inhabitants of the British colonies, that men born on the American side of the Atlantic ocean had received from nature the same rights as others born under the meridian of Greenwich, and that a difference of sixty-six degrees of longitude could have no power of changing them. They understood, more perfectly perhaps than Europeans, what were the rights common to all the individuals of the human race; and among these they included the right of not paying any tax to which they had not consented. But the British Government, pretending to believe that God had created America, as well as Asia, for the gratification and good pleasure of the inhabitants of London, resolved to hold in bondage a subject nation, situated across the seas at the distance of three thousand miles, intending to make her the instrument in due time of enslaving the mother country itself. Accordingly, it commanded the servile representatives of the people of England to violate the rights of America, by subjecting her to compulsory taxation. This injustice, she conceived, authorised her to dissolve every tie of connection, and she declared her independence.

Then was observed, for the first time, the example of a great people throwing off at once every species of chains, and peaceably framing for itself the form of government and the laws which it judged would be most conducive to its happiness; and as, from its geographical position, and its former political state, it was obliged to become a federal nation, thirteen republican constitutions were seen to grow up in its bosom, having for their basis a solemn recognition of the natural rights of man, and for their first object the preservation of those rights through every department of the union.  If we examine the nature of these constitutions, we shall discover in what respect they were indebted to the progress of the political sciences, and what was the portion of error, resulting from the prejudices of education which formed its way into them: why, for instance, the simplicity of these constitutions is disfigured by the system of a balance of powers; and why an identity of interests, rather than an equality of rights, is adopted as their principle. It is manifest that this principle of identity of interests, when made the rule of political rights is not only a violation of such rights, with respect to those who are denied an equal share in the exercise of them, but that it ceases to exist the very instant it becomes an actual inequality. We insist the rather upon this, as it is the only dangerous error remaining, the only error respecting which men of enlightened minds want still to be undeceived. At the same time, however, we see realized in these republics an idea, at that time almost new even in theory; I mean the necessity of establishing by law a regular and peaceable mode of reforming the constitutions themselves, and of placing this business in other hands than those entrusted with the legislative power.

Meanwhile, in consequence of America declaring herself independent of the British government, a war ensued between the two enlightened nations, in which one contended for the natural rights of mankind, the other for that impious doctrine which subjects these rights to prescription, to political interests, and written conventions. The great cause at issue was tried, during this war, in the tribunal of opinion, and, as it were, before the assembled nations of mankind. The rights of men were freely investigated, and strenuously supported in writings which circulated from the banks of the Neva to those of the Guadalquivir. These discussions penetrated into the most enslaved countries, into the most distant and retired hamlets. The simple inhabitants were astonished to hear of rights belonging to them: they enquired into the nature and importance of those rights: they found that other men were in arms, to re-conquer or to defend them.

Les philosophes des diverses nations embrassant, dans leurs méditations, les intérêts de l'humanité entière sans distinction de pays, de race ou de secte, formaient, malgré la différence de leurs opinions spéculatives, une phalange fortement unie contre toutes les erreurs, contre tous les genres de tyrannie. Animés par le sentiment d'une philanthropie universelle, ils combattaient l'injustice, lorsque, étrangère à leur patrie, elle ne pouvait les atteindre ; ils la combattaient encore, lorsque c'était leur patrie même qui s'en rendait coupable envers d'autres peuples ; ils s'élevaient en Europe contre les crimes dont l'avidité souille les rivages de l'Amérique, de l'Afrique ou de l'Asie. Les philosophes de l’Angleterre et de la France s'honoraient de prendre le nom, de remplir les devoirs d'amis de ces mêmes noirs, que leurs stupides tyrans dédaignaient de compter au nombre des hommes. Les éloges des écrivains français étaient le prix de la tolérance accordée en Russie et en Suède, tandis que Beccaria réfutait en Italie les maximes barbares de la jurisprudence française.

On cherchait en France à guérir l'Angleterre de ses préjugés commerciaux, de son respect superstitieux pour les vices de sa constitution et de ses lois, tandis que le respectable Howard dénonçait aux Français la barbare insouciance qui, dans leurs cachots et leurs hôpitaux, immolait tant de victimes humaines.

Les violences ou la séduction des gouvernements, l'intolérance des prêtres, les préjugés nationaux eux-mêmes, avaient perdu le funeste pouvoir d'étouffer la voix de la vérité, et rien ne pouvait soustraire ni les ennemis de la raison, ni les oppresseurs de la liberté, à un jugement qui devenait bientôt celui de l'Europe entière.
 

Enfin, on y vit se développer une doctrine nouvelle, qui devait porter le dernier coup à l'édifice déjà chancelant des préjugés : c'est celle de la perfectibilité indéfinie de l'espèce humaine, doctrine dont Turgot, Price et Priestley ont été les premiers et les plus illustres apôtres ; elle appartient à la dixième époque, où nous la développerons avec étendue. Mais nous devons ex. poser ici l'origine et les progrès d'une fausse philosophie, contre laquelle l'appui de cette doctrine est devenu si nécessaire au triomphe de la raison.
 
 

Née, dans les uns, de l'orgueil, dans les autres, de l'intérêt, ayant pour but secret de perpétuer l'ignorance, et de prolonger le règne des erreurs, on en a vu les nombreux sectateurs, tantôt corrompre la raison par de brillants paradoxes, ou la séduire par la paresse commode d'un pyrrhonisme absolu ; tantôt mépriser assez l'espèce humaine pour annoncer que le progrès des lumières serait inutile ou dangereux à son bonheur comme à sa liberté ; tantôt, enfin, l'égarer par le faux enthousiasme d'une grandeur ou. d'une sagesse imaginaires, qui dispensent la vertu d'être éclairée, et le bon sens de s'appuyer sur des connaissances réelles ; ici, parler de la philosophie et des sciences profondes comme de théories trop supérieures à un être borné, entouré de besoins, et soumis à des devoirs journaliers et pénibles ; ailleurs, les dédaigner comme un ramas de spéculations incertaines, exagérées, qui doivent disparaître devant l'expérience des affaires et l'habileté d'un homme d'État. Sans cesse on les entendait se plaindre de la décadence des lumières au milieu de leurs progrès ; gémir sur la dégradation de l'espèce humaine, à mesure que les hommes se ressouvenaient de leurs droits, se servaient de leur raison ; annoncer même l'époque prochaine d'une de ces oscillations qui doivent la ramener à la barbarie, à l'ignorance, à l'esclavage, au moment où tout se réunissait pour prouver qu'elle n'avait plus à les redouter. Ils semblaient humiliés de son perfectionnement, parce qu'ils ne partageaient point la gloire d'y avoir contribué, ou effrayés de ses progrès, qui leur annonçaient la chute de leur importance ou de leur pouvoir. [Cependant, plus habiles que ceux qui, d'une main maladroite, s'efforçaient d'étayer l'édifice des superstitions antiques, dont la philosophie avait sapé les fondements, quelques charlatans tentèrent d'en employer les ruines à l'établissement d'un système religieux, où l'on exigerait de la raison, rétablie dans ses droits, qu'une demi-soumission ; où elle resterait presque libre dans sa croyance, pourvu qu'elle consentît à croire quelque chose d'incompréhensible : tandis que d'autres essayaient de ressusciter, dans des associations secrètes, les mystères oubliés de l'ancienne théurgie ; et, laissant au peuple ses vieilles erreurs, enchaînant leurs disciples par des superstitions nouvelles, ils osaient espérer de rétablir, en faveur de quelques adeptes, l'ancienne tyrannie des rois-pontifes de l'Inde et de l'Égypte. Mais la philosophie, appuyée sur cette base inébranlable que les sciences lui avaient préparée, leur opposait une barrière contre laquelle leurs impuissants efforts devaient bientôt se briser.
 
 
 
 

En comparant la disposition des esprits, dont j'ai ci-dessus tracé l'esquisse, avec ce système politique des gouvernements, on pouvait aisément prévoir qu'une grande révolution était infaillible ; et il n'était pas difficile de juger qu'elle ne pouvait être amenée que de deux manières : il fallait ou que le peuple établît lui-même ces principes de la raison et de la nature, que la philosophie avait su lui rendre chers ; ou que les gouvernements se hâtassent de le prévenir, et réglassent leur marche sur celle de ses opinions. L'une de ces révolutions devait être plus entière et plus prompte, mais plus orageuse ; l'autre plus lente, plus incomplète, mais plus tranquille : dans l'une, on devait acheter la liberté et le bonheur par des, maux passagers ; dans l'autre, on évitait ces maux, mais en retardant pour longtemps, peut-être, la jouissance d'une partie des biens que cependant elle devait infailliblement produire.
 
 

La corruption et l'ignorance des gouvernements ont préféré le premier moyen ; et le triomphe rapide de la raison et de la liberté a vengé le genre humain.
 

Le simple bon sens avait appris aux habitants des colonies britanniques, que des Anglais, nés au delà de l'Océan Atlantique, avaient reçu de la nature précisément les mêmes droits que d'autres Anglais nés sous le méridien de Greenwich, et qu'une différence de soixante-dix degrés de longitude n'avait pu changer ces droits. Ils connaissaient, peut-être mieux que les Européens, quels étaient ces droits communs à tous les individus de l'espèce humaine ; et ils y comprenaient celui de ne payer aucune taxe sans y avoir consenti. Mais le gouvernement britannique faisait semblant de croire que Dieu avait créé l'Amérique comme l'Asie, pour le plaisir des habitants de Londres, et voulait, en effet, tenir entre ses mains, au delà des mers, une nation sujette, dont il se servirait, quand il en serait temps, pour opprimer l'Angleterre européenne. Il ordonna aux dociles représentants du peuple anglais de violer les droits de l'Amérique, et de la soumettre à des taxes involontaires. L'Amérique prononça que l'injustice avait brisé ses liens, et déclara son indépendance.
 
 

On vit alors, pour la première fois, un grand peuple délivré de toutes ses chaînes, se donner paisiblement à lui-même la constitution et les lois qu'il croyait les plus propres à faire son bonheur ; et comme sa position géographique, son ancien état politique, l'obligeaient à former une république fédérative, on vit se préparer à la fois, dans son sein, treize constitutions républicaines, ayant pour base une reconnaissance solennelle des droits naturels de l'homme, et, pour premier objet, la conservation de ces droits. Nous tracerons le tableau de ces constitutions ; nous montrerons ce qu'elles doivent aux progrès des sciences politiques, et ce que les préjugés de l'éducation ont pu y mêler des anciennes erreurs : pourquoi, par exemple, le système de l'équilibre des pouvoirs en altère encore la simplicité ; pourquoi elles ont eu pour principe l'identité des intérêts, plus encore que l'égalité des droits. Nous prouverons, non seulement combien ce principe de l'identité des intérêts, si on en fait la règle des droits politiques, en est une violation à l'égard de ceux auxquels on se permet de ne pas en laisser l'entier exercice, mais que cette identité cesse d'exister, précisément dans l'instant même où elle devient une véritable inégalité. Nous insisterons sur cet objet, parce que cette erreur est la seule qui soit encore dangereuse, parce qu'elle est la seule dont les hommes vraiment éclairés ne soient pas encore désabusés. Nous montrerons comment les républiques américaines ont réalisé cette idée, alors presque nouvelle en théorie, de la nécessité d'établir et de régler, par la loi, un mode régulier et paisible pour réformer les constitutions elles-mêmes, et de séparer ce pouvoir de celui de faire des lois.
 
 

Mais dans la guerre qui s'élevait entre deux peuples éclairés, dont l'un défendait les droits naturels de l'humanité, dont l'autre leur opposait la doctrine impie qui soumet ces droits à la prescription, aux intérêts politiques, aux conventions écrites ; cette grande cause fut plaidée au tribunal de l'opinion, en présence de l'Europe entière ; les droits des hommes furent hautement soutenus et développés sans restriction, sans réserve, dans des écrits qui circulaient avec liberté des bords de la Néva à ceux du Guadalquivir. Ces discussions pénétrèrent dans les contrées les plus asservies, dans les bourgades les plus reculées, et les hommes qui les habitaient furent étonnés d'entendre qu'ils avaient des droits ; ils apprirent à les connaître ; ils surent que d'autres hommes osaient les reconquérir ou les défendre.

 

In this state of things it could not be long before the transatlantic revolution must find its imitators in the European quarter of the world. And if there existed a country in which, from attachment to their cause, the writings and principles of the Americans were more widely disseminated than in any other part of Europe; a country at once the most enlightened, and the least free; in which philosophers had soared to the sublimest pitch of intellectual attainment, and the government was sunk in the deepest and most intolerable ignorance; where the spirit of the laws was so far below the general spirit and illumination, that national pride and inveterate prejudice were alike ashamed of vindicating the old institutions: if, I say, there existed such a country, were not the people of that country destined by the very nature of things, to give the first impulse to this revolution, expected by the friends of humanity with such eager impatience, such ardent hope? Accordingly it was to commence with France.

The impolicy and unskilfulness of the French government hastened the event. It was guided by the hand of philosophy, and the populor force destroyed the obstacles that otherwise might have arrested its progress.

It was more complete, more entire than that of America, and of consequence was attended with greater convulsions in the interior of the nation, because the Americans, satisfied with the code of civil and criminal legislation which they had derived from England, having no corrupt system of finance to reform, no feodal tyrannies, no hereditary distinctions, no privileges of rich and powerful corporations, no system of religious intolerance to destroy, had only to direct their attention to the establishment of new powers to be substituted in the place of those hitherto exercised over them by the British government. In these innovations there was nothing that extended to the mass of the people, nothing that altered the subsisting relations formed between individuals: whereas the French revolution, for reasons exactly the reverse, had to embrace the whole economy of society, to change every social relation, to penetrate to the smallest link of the political chain, even to those individuals, who, living in peace upon their property, or by their industry, were equally unconnected with public commotions, whether by their opinions and their occupations, or by the interests of fortune, of ambition, or of glory.

The Americans, as they appeared only to combat against the tyrannical prejudices of the mother country, had for allies the rival powers of England; while other nations, jealous of the wealth, and disgusted at the pride of that country, aided, by their secret aspirations, the triumph of justice: thus all Europe leagued, as it were, against the oppressor. The French, on the contrary, attacked at once the despotism of kings, the political inequality of constitutions partially free, the pride and prerogatives of nobility, the domination, intolerance, and rapacity of priests, and the enormity of feodal claims, still respected in almost every nation in Europe; and accordingly the powers we have mentioned, united in favour of tyranny; and there appeared on the side of the Gallic revolution the voice only of some enlightened sages, and the timid wishes of certain oppressed nations: succours, meanwhile, of which all the artifices of calumny have been employed to deprive it.

It would be easy to show how much more pure, accurate, and profound, are the principles upon which the constitution and laws of France have been formed, than those which directed the Americans, and how much more completely the authors have withdrawn themselves from the influence of a variety of prejudices; that the great basis of policy, the equality of rights, has never been superseded by that fictitious identity of interests, which has so often been made its feeble and hypocritical substitute; that the limits prescribed to political power have been put in the place of that specious balance which has so long been admired; that we were the first to dare, in a great nation necessarily dispersed, and which cannot personally be assembled but in broken and numerous parcels, to maintain in the people their rights of sovereignty, the right of obeying no laws but those which, though originating in a representative authority, shall have received their last sanction from the nation itself, laws which, if they be found injurious to its rights or interests, the nation is always organized to reform by a regular act of its sovereign will.

From the time when the genius of Descartes impressed on the minds of men that general impulse, which is the first principle of a revolution in the destiny of the human species, to the happy period of entire social liberty, in which man has not been able to regain his natural independence till after having passed through a long series of ages of misfortune and slavery, the view of the progress of mathematical and physical science presents to us an immense horizon, of which it is necessary to distribute and assort the several parts, whether we may be desirous of fully comprehending the whole, on of observing their mutual relations.

The application of algebra to geometry not only became the fruitful source of discoveries in both sciences, but they prove, from this striking example, how much the method of computation of magnitudes in general may be extended to all questions, the object of which consists in measure and extension. Descartes first announced the truth, that they would be employed with equal success hereafter upon all objects susceptible of precise valuation; and this great discovery, by shewing for the first time the ultimate purpose of these sciences, that is to say, the strict calculation of every species of truth, afforded the hope of attaining this point, at the same time that it exhibited the means.

This discovery was soon succeeded by that of a new method of computing, which teaches us to find the ratios of the successive increments or decrements of a variable quantity, or to deduce the quantity itself when this ratio is given; whether the increments be supposed of finite magnitude, or their ratio be sought for the instant only of their vanishment; a method which, being extended to all the combinations of variable magnitudes, and to all the hypotheses of their variations, leads to a determination, with regard to all things precisely mensurable, of the ratios of their elements, or of the things themselves, from the knowledge of those proportions which they mutually have, provided the ratios of their elements only be given.

La révolution américaine devait donc s'étendre bientôt en Europe ; et s'il y existait un peuple où l'intérêt pour la cause des Américains eût répandu plus qu'ailleurs leurs écrits et leurs principes, qui fût à la fois le pays le plus éclairé et un des moins libres ; celui où les philosophes avaient le plus de véritables lumières, et le gouvernement une ignorance plus insolente et plus profonde ; un peuple où les lois fussent assez au-dessous de l'esprit publie, pour qu'aucun orgueil national, aucun préjugé, ne l'attachât à ses institutions antiques ; ce peuple n'était-il point destiné, par la nature même des choses, à donner le premier mouvement à cette révolution, que les amis de l'humanité attendaient avec tant d'espoir et d'impatience ? Elle devait donc commencer par la France.
 
 

La maladresse de son gouvernement a précipité cette révolution ; la philosophie en a dirigé les principes, la force populaire a détruit les obstacles qui pouvaient arrêter les mouvements.
 

Elle a été plus entière que celle de l'Amérique, et par conséquent moins paisible dans l'intérieur, parce que les Américains, contents des lois civiles et criminelles qu'ils avaient reçues de l'Angleterre ; n'ayant point à réformer un système vicieux d'impositions ; n'ayant à détruire ni tyrannies féodales, ni distinctions héréditaires, ni corporations privilégiées, riches ou puissantes, ni un système d'intolérance religieuse, se bornèrent à établir de nouveaux pouvoirs, à les substituer à ceux que la nation britannique avait jusqu'alors exercés sur eux. Rien, dans ces innovations, n'atteignait la masse du peuple ; rien ne changeait les relations qui s'étaient formées entre les individus. En France, par la raison contraire, la révolution devait embrasser l'économie tout entière de la société, changer toutes les relations sociales, et pénétrer jusqu'aux derniers anneaux de la chaîne politique ; jusqu'aux individus qui, vivant en paix de leurs biens ou de leur industrie, ne tiennent aux mouvements publics ni par leurs opinions, ni par leurs occupations, ni par des intérêts de fortune, d'ambition ou de gloire.
 
 

Les Américains, qui paraissaient ne combattre que contre les préjugés tyranniques de la mère patrie, eurent pour alliés les puissances rivales de l'Angleterre ; tandis que les autres, jalouses de ses richesses et de son orgueil, hâtaient, par des vœux secrets, le triomphe de la justice : ainsi, l'Europe entière parut réunie contre les oppresseurs. Les Français, au contraire, ont attaqué en. même temps et le despotisme des rois, et l'inégalité politique des constitutions à demi libres, et l'orgueil des nobles, et la domination, l'intolérance, les richesses des prêtres, et les abus de la féodalité, qui couvrent encore l'Europe presque entière ; et les puissances de l'Europe ont dû se liguer en faveur de la tyrannie. Ainsi, la France n'a pu voir s'élever en sa faveur que la voix de quelques sages, et le vœu timide des peuples opprimés, secours que la calomnie devait encore s'efforcer de lui ravir.
 
 

Nous montrerons pourquoi les principes sur lesquels la constitution et les lois de la France ont été combinées, sont plus purs, plus précis, plus profonds, que ceux qui ont dirigé les Américains ; pourquoi ils ont échappé bien plus complètement à l'influence de toutes les espèces de préjugés ; comment l'égalité des droits n'y a, nulle part, été remplacée par cette identité d'intérêt, qui n'en est que le faible et hypocrite supplément ; comment on y a substitué les limites des pouvoirs, à ce vain équilibre si longtemps admiré ; comment, dans une grande nation, nécessairement dispersée et partagée en un grand nombre d'assemblées isolées et partielles, on a osé, pour la première fois, conserver au peuple son droit de souveraineté, celui de n'obéir qu'à des lois dont le mode de formation, si elle est confiée à des représentants, ait été légitimé par son approbation immédiate ; dont, si elles blessent ses droits ou ses intérêts, il puisse toujours obtenir la réforme, par un acte régulier de sa volonté souveraine.
 

Depuis le moment où le génie de Descartes imprima aux esprits cette impulsion générale, premier principe d'une révolution dans les destinées de l'espèce humaine, jusqu'à l'époque heureuse de l'entière et pure liberté sociale, où l'homme n'a pu remplacer son indépendance naturelle, qu'après avoir passé par une longue suite de siècles d'esclavage et de malheur, le tableau du progrès des sciences mathématiques et physiques nous présente un horizon immense, dont il faut distribuer et ordonner les diverses parties, si l'on veut en bien saisir l'ensemble, en bien observer les rapports.

Non seulement l'application de l'algèbre à la géométrie devint une source féconde de découvertes dans ces deux sciences, mais en prouvant, par ce grand exemple, comment les méthodes du calcul des grandeurs en général pouvaient s'étendre à toutes les questions qui avaient pour objet la mesure de l'étendue, Descartes annonçait d'avance qu'elles seraient employées, avec un succès égal, à tous les objets dont les rapports sont susceptibles d'être évalués avec précision ; et cette grande découverte, en montrant pour la première fois ce dernier but des sciences, d'assujettir toutes les vérités à la rigueur du calcul, donnait l'espérance d'y atteindre, et en faisait entrevoir les moyens.

Bientôt à cette découverte succéda celle d'un calcul nouveau, qui enseigne à trouver les rapports des accroissements ou des décroissements successifs d'une quantité variable, ou à retrouver la quantité elle-même, d'après la connaissance de ce rapport ; soit que l'on suppose à ces accroissements une grandeur finie, soit qu'on n'en cherche le rapport que pour l'instant où ils s'évanouissent ; méthode qui, s'étendant à toutes les combinaisons de grandeurs variables, à toutes les hypothèses de leurs variations, conduit également à déterminer, pour toutes les choses dont les changements sont susceptibles d'une mesure précise, soit les rapports de leurs éléments, soit les rapports des choses, d'après la connaissance de ceux qu'elles ont entre elles-mêmes, lorsque ceux de leurs éléments sont seulement connus.

We are indebted to Newton and Leibnitz for the invention of these methods; but the labours of the geometers of the preceding age prepared the way for this discovery. The progress of these sciences, which has been uninterrupted for more than a century, is the work, and establishes the reputation, of a number of men of genius. They present to the eyes of the philosopher, who is able to observe them, even though he may not follow their steps, a striking monument of the force of the human mind.

When we explain the formation and principles of algebraic language, which alone is accurate and truly analytic; the nature of the technical processes of this science; and the comparison of these processes with the natural operations of the human mind, we may prove that, if this method be not itself a peculiar instrument in the science of quantity, it certainly includes the principles of an universal instrument applicable to all possible combinations of ideas.

Rational mechanics soon became a vast and profound science. The true laws of the collision of bodies, respecting which Descartes was deceived, were at length known.

Huyghens discovered the laws of circular motions; and at the same time he gives a method of determining the radius of curvature for every point of a given curve. By uniting both theories, Newton invented the theory of curve-lined motions, and applied it to those laws according to which Kepler had discovered that the planets describe their elliptical orbits.
 

A planet, supposed to be projected into space at a given instant, with a given velocity and direction, will describe round the sun an ellipsis, by virtue of a force directed to that star, and proportional to the inverse ratio of the squares of the distances. The same force retains the satellites in their orbits round the primary planets: it pervades the whole system of heavenly bodies, and acts reciprocally between all their component parts.

The regularity of the planetary ellipses is disturbed, and the calculation precisely explains the very slightest degrees of these perturbations. It is equally applicable to the comets, and determines their orbits with such precision, as to foretel their return. The peculiar motion observed in the axes of rotation of the earth and the moon, affords additional proof of the existence of this universal force. Lastly, it is the cause of the weight of terrestrial bodies, in which effect it appears to be invariable, because we have no means of observing its action at distances from the centre, which are sufficiently remote from each other.

Thus we see man has at last become acquainted, for the first time, with one of the physical laws of the universe. Hitherto it stands unparalleled, as does the glory of him who discovered it.

An hundred years of labour and investigation have confirmed this law, to which all the celestial phenomena are subjected, with an accuracy which may be said to be miraculous. Every time in which an apparent deviation has presented itself, the transient uncertainty has soon become a subject of new triumph to the science.

The philosopher is, in almost every instance, compelled to have recourse to the works of a man of genius for the secret clue which led him to discovery; but here interest, inspired by admiration, has discovered and preserved anecdotes of the greatest value, since they permit us to follow Newton step by step. They serve to show how much the happy combinations of external events, or chance, unite with the efforts of genius in producing a great discovery, and how easily combinations of a less favourable nature might have retarded them, or reserved them for other hands.

But Newton did more, perhaps, in favour of the progress of the human mind, than merely discovering this general law of nature; he taught men to admit in natural philosophy no other theories but such as are precise, and susceptible of calculation; which give an account not only of the existence of a phenomenon, but its quantity and extent. Nevertheless he was accused of reviving the occult qualities of the ancients, because he had confined himself to refer the general cause of celestial appearances to a simple fact, of which observation proved the incontestable reality; and this accusation is itself a proof how much the methods of the sciences still require to be enlightened by philosophy.

A great number of problems in statics and dynamics had been successively proposed and resolved, when Alembert discovered a general principle adequate to the determination of the motions of any number of points acted on by any forces, and connected by conditions. He soon extended the same principle to finite bodies of a determinate figure; to those which, from elasticity or flexibility, are capable of changing their figure, but according to certain laws and preserving certain relations between their parts; and lastly to fluids themselves, whether they preserve the same density, or exist in a state of expansibility. A new calculation was necessary to resolve these last questions; the means did not escape him, and mechanics at present form a science of pure calculation.

These discoveries belong to the mathematical sciences; but the nature of the law of universal gravitation, or of these principles of mechanics, and the consequences which may thence be drawn and applied to the eternal order of the universe, belong to philosophy. We learn that all bodies are subject to necessary laws, which tend of themselves to produce or maintain an equilibrium, which causes or preserves the regularity of their motions.
 

The knowledge of those laws which govern the celestial phenomena, the discoveries of that mathematical analysis which leads to the most precise methods of calculating the appearances, the very unexpected degree of perfection to which optical and goniometrical instruments have been brought, the precision of machines for measuring time, the more general taste for the sciences, which unites itself with the interest of governments, to multiply the number of astronomers and observations; all these causes unite to secure the progress of astronomy.  The heavens are enriched for the man of science with new stars, and he applies his knowledge to determine and foretel with accuracy their positions and movements. 
 

Natural philosophy, gradually delivered from the vague explanations of Descartes, in the same manner as it before was disembarrassed from the absurdities of the schools, is now nothing more than the art of interrogating nature by experiment, for the parpose of afterwards deducing more general facts by computation.

The weight of the air is known and measured: it is known that the transmission of light is not instantancous; its velocity is determined, with the effects which must result from that velocity, as to the apparent position of the celestial bodies; and the decomposition of the solar rays into others of different refrangibility and colour. The rainbow is explained, and the methods of causing its colours to be produced or to disappear are subjected to calculation. Electricity, formerly considered as the property of certain substances only, is now known to be one of the most general phenomena in the universe. The cause of thunder is no longer a secret; Franklin has taught the artist to change its course, and direct it at pleasure. New instruments are employed to measure the variations of weight and humidity in the atmosphere, and the temperature of all bodies. A new science, under the name of meteorology, teaches us to know, and sometimes to foretel, the atmospheric appearances of which it will hereafter disclose to us the unknown laws.
 

While we present a sketch of these discoveries, we may remark how much the methods which have directed philosophers in their researches are simplified and brought to perfection; how greatly the art of making experiments, and of constructing instruments, has successively become more accurate; so that philosophy is not only enriched every day with new truths, but the truths already known have been more exactly ascertained; so that not only an immense mass of new facts have been observed and analysed, but the whole has been submitted in detail to methods of greater strictness.

Natural philosophy has been obliged to combat with the prejudices of the schools, and the attraction of general hypotheses, so seducing to indolence. Other obstacles retarded the progress of chemistry. It was imagined that this science ought to afford the secret of making gold, and that of rendering man immortal.

On doit à Newton et à Leibnitz l'invention de ces calculs, dont les travaux des géomètres de la génération précédente avaient préparé la découverte. Leurs progrès, non interrompus depuis plus d'un siècle, ont été l'ouvrage et ont fait la gloire de plusieurs hommes de génie, et ils présentent, aux yeux du philosophe qui peut les observer, même sans les suivre, un monument imposant des forces de l'intelligence humaine.

En exposant la formation et les principes de la langue de l'algèbre, la seule vraiment exacte, vraiment analytique, qui existe encore ; la nature des procédés techniques de cette science ; la comparaison de ces procédés avec les opérations naturelles de l'entendement humain ; nous montrerons que si cette méthode n'est par elle-même qu'un instrument particulier à la science des quantités, elle renferme les principes d'un instrument universel, applicables à toutes les combinaisons d'idées.

La mécanique rationnelle devient bientôt une science vaste et profonde. Les véritables lois du choc des corps, sur lesquelles Descartes s'était trompé, sont enfin connues.

Huyghens découvre celles du mouvement d'un corps dans le cercle ; il donne en même temps la méthode de déterminer à quel cercle chaque élément d'une courbe quelconque doit appartenir. En réunissant ces deux théories, Newton trouva la théorie du mouvement curvi-ligne ; il l'applique à ces lois, suivant lesquelles Kepler a découvert que les planètes parcouraient leurs orbites elliptiques.

Une planète, qu'on suppose lancée dans l'espace en un instant donné, avec une vitesse et suivant une direction déterminée, parcourt, autour du soleil, une ellipse, en vertu d'une force dirigée vers cet astre, et proportionnelle à la raison inverse du carré des distances. La même force retient les satellites dans leurs orbites, autour de la planète principale. Elle s'étend à tout le système des corps célestes ; elle est réciproque entre tous les éléments qui les composent.

La régularité des ellipses planétaires en est troublée, et le calcul explique, avec précision, jusqu'aux nuances les plus légères de ces perturbations. Elle agit sur les comètes, dont la même théorie enseigné à déterminer les orbites, à prédire le retour. Les mouvements observés dans les axes de rotation de la terre et de la lune, attestent encore l'existence de cette force universelle. Elle est enfin la cause de la pesanteur des corps terrestres, dans lesquels elle paraît constante, parce que nous ne pouvons les observer à des distances assez différentes entre elles du centre d'action.

Ainsi, l'homme a connu enfin, pour la première fois, une des lois physiques de l'univers ; et elle est unique encore jusqu'ici, comme la gloire de celui qui l'a révélée.

Cent ans de travaux ont confirmé cette loi, à laquelle tous les phénomènes célestes ont paru soumis avec une exactitude pour ainsi dire miraculeuse ; toutes les fois qu'un d'eux a paru s'y soustraire, cette incertitude passagère est devenue bientôt le sujet d'un nouveau triomphe.
 

La philosophie est presque toujours forcée de chercher, dans les ouvrages d'un homme de génie, le fil secret qui l'a dirigé ; mais ici, l'intérêt, inspiré par l'admiration, a fait découvrir et conserver des anecdotes précieuses, qui permettent de suivre pas à pas la marche de Newton. Elles nous serviront à montrer comment les heureuses combinaisons du hasard concourent, avec les efforts du génie, à une grande découverte ; et comment des combinaisons moins favorables auraient pu les retarder, ou les réserver à d'autres mains.

Mais Newton fit plus, peut-être, pour les progrès de l'esprit humain, que de découvrir cette loi générale de la nature ; il apprit aux hommes à n'admettre, dans la physique, que des théories précises et calculées, qui rendissent raison non seulement de l'existence d'un phénomène, mais de sa quantité, de son étendue. Cependant, on l'accusa de renouveler les qualités occultes des anciens, parce qu'il s'était borné à renfermer la cause générale des phénomènes célestes dans un fait simple, dont l'observation prouvait l'incontestable réalité. Et cette accusation même prouve combien les méthodes des sciences avaient encore besoin d'être éclairées par la philosophie.
 

Une foule de problèmes de statique, de dynamique, avaient été successivement proposés et résolus, lorsque D'Alembert découvre un principe général, qui suffit seul pour déterminer le mouvement d'un nombre quelconque de points, animés de forces quelconques, et liés entre eux par des conditions. Bientôt il étend ce même principe aux corps finis d'une figure déterminée ; à ceux qui, élastiques ou flexibles, peuvent changer de figure, mais d'après certaines lois, et en conservant certaines relations entre leurs parties ; enfin, aux fluides eux-mêmes, soit qu'ils conservent la même densité, soit qu'ils se trouvent dans l'état d'expansibilité. Un nouveau calcul était nécessaire pour résoudre ces dernières questions ; il ne peut échapper à son génie ; et la mécanique n'est plus qu'une science de pur calcul.

Ces découvertes appartiennent aux sciences mathématiques ; mais la nature, soit de cette loi de la gravitation universelle, soit de ces principes de mécanique, les conséquences qu'on peut en tirer pour l'ordre éternel de l'univers, sont du ressort de la philosophie. On apprit que tous les corps sont assujettis à des lois nécessaires qui tendent par elles-mêmes à produire ou à maintenir l'équilibre, à faire naître ou à conserver la régularité dans les mouvements.

La connaissance de celles qui président aux phénomènes célestes, les découvertes de l'analyse mathématique, qui conduisent à des méthodes plus précises d'en calculer les apparences ; cette perfection, dont on n'avait pas même conçu l'espérance, à laquelle sont portés et les instruments d'optique, et ceux où l'exactitude des divisions devient la mesure de celle des observations ; la précision des machines destinées à mesurer le temps ; le goût plus général pour les sciences, qui s'unit à l'intérêt des gouvernements pour multiplier les astronomes et les observatoires ; toutes ces causes réunies assurent les progrès de l'astronomie. Le ciel s'enrichit pour l'homme de nouveaux astres, et il sait en déterminer et en prévoir, avec exactitude, et la position, et les mouvements.

La physique, se délivrant peu à peu des explications vagues introduites par Descartes, comme elle s'était débarrassée des absurdités scolastiques, n'est plus que l'art d'interroger la nature par des expériences, pour chercher à en déduire ensuite, par le calcul, des faits plus généraux.

La pesanteur de l'air est connue et mesurée ; on découvre que la transmission de la lumière n'est pas instantanée, on en détermine la vitesse ; on calcule les effets qui doivent en résulter pour la position apparente des corps célestes ; le rayon solaire est décomposé en rayons plus simples, différemment réfrangibles et diversement colorés. L'arc-en-ciel est expliqué, et les moyens de produire ou de faire disparaître ses couleurs, sont soumis au calcul. L'électricité, qui n'était connue que par la propriété de certaines substances, d'attirer les corps légers, après avoir été frottées, devient un des phénomènes généraux de l'uni ;vers. La cause de la foudre n'est plus un secret ; et Franklin a dévoilé aux hommes l'art de la détourner et de la diriger à leur gré. Des instruments nouveaux sont employés à mesurer les variations du poids de l'atmosphère, celles de l'humidité de l'air et les degrés de température des corps. Une science nouvelle, sous le nom de météorologie, apprend à connaître, quelquefois à prévoir, les phénomènes de l'atmosphère, dont elle nous fera découvrir un jour les lois encore inconnues.

En présentant le tableau de ces découvertes, nous montrerons comment les méthodes qui ont conduit les physiciens dans leurs recherches, se sont épurées et perfectionnées ; comment l'art de faire les expériences, de construire les instruments, a successivement acquis plus de précision ; de manière que la physique, non seulement s'est enrichie chaque jour de vérités nouvelles, mais que les vérités déjà prouvées ont acquis une exactitude plus grande ; que non seulement une foule de faits inconnus ont été observés, analysés, mais que tous ont été soumis, dans leurs détails, à des mesures plus rigoureuses.

La physique n'avait eu à combattre que les préjugés de la scolastique, et l'attrait, si séduisant pour la paresse, des hypothèses générales. D'autres obstacles retardaient les progrès de la chimie. On avait imaginé qu'elle devait donner le secret de faire de l'or, et celui de rendre immortel.

The effect of great interests, is to render man superstitious. It was not supposed that such promises, which flatter the two strongest passions of vulgar minds, and besides rouse that of acquiring glory, could be accomplished by ordinary means; and every thing which credulity or folly could ever invent of extravagance, seemed to unite in the minds of chemists.

But these chimeras gradually gave place to the mechanical philosophy of Descartes, which in its turn gave place to a chemistry truly experimental. The observation of those facts which accompany the mutual composition and decomposition of bodies, the research into the laws of these operations, with the analysis of substances into elements of greater simplicity, acquire a degree of precision and strictness ever increasing.

But to these advances of chemistry we must add others, which embrace the whole system of the science, and rather by extending the methods than immediately increasing the mass of truths, foretel and prepare a revolution of the happiest kind. Such has been the discovery of new means of confining and examining those elastic fluids, which formerly were suffered to escape; a discovery which, by permitting us to operate upon an entire class of new principles, and upon those already known, reduced to a state which escaped our researches, and by adding an element the more to almost every combination, has changed, as it were, the whole system of chemistry. Such has beenthe formation of a language, in which the names denoting substances sometimes express the resemblance or differences of those which have a common element, and sometimes the class to which they belong. To these advantages we may add the use of a scientific method, wherein these substances are represented by characters analytically combined, and moreover capable of expressing the most common operations and the general laws of affinity. And, again, this science is enriched by the use of all the means and all the instruments which philosophers have applied to compute with the utmost rigor the results of experiment; and lastly, by the application of the mathematics to the phenomena of chrystalization, and to the laws according to which the elements of certain bodies effect in their combination regular and constant forms.

Men who long had possessed no other knowledge than that of explaining by superstitious or philosophical reveries the formation of the earth, before they endeavoured to become acquainted with its parts, have at last perceived the necessity of studying with the most scrupulous attention the surface of the ground, the internal parts of the earth into which necessity has urged men to penetrate, the substances there found, their fortuitous or regular distribution, and the disposition of the masses they have formed by their union. They have learned to ascertain the effects of the slow and long continued action of the waters of the sea, of rivers, and the effect of volcanic fires; to distinguish those parts of the surface and exterior crust of the globe, of which the inequalities, disposition, and frequently the materials themselves, are the work of these agents; from the other portion of the surface, formed for the most part of heterogeneous substances, bearing the marks of more ancient revolutions by agents with which we are yet acquainted.

Minerals, vegetables, and animals are divided into various species, of which the individuals differ by insensible variations scarcely constant, or produced by causes purely local. Many of these species resemble each other by a greater or less number of common qualities, which serve to establish successive divisions regularly more and more extended. Naturalists have invented methods of classing the objects of science from determinate characters easily ascertained, the only means of avoiding confusion in the midst of this numberless multitude of individuals. These methods are, indeed, a real language, wherein each object is denoted by some of its most constant qualities, which, when known, are applicable to the discovery of the name which the article may bear in common language. These general languages, when well composed, likewise indicate, in each class of natural objects, the truly essential qualities which by their union cause a more or less perfect resemblance in the rest of their properties.

We have formerly seen the effects of that pride which magnifies in the eyes of men the objects of an exclusive study, and knowledge painfully acquired, which attaches to these methods an exaggerated degree of importance, and mistakes for science itself that which is nothing more than the dictionary and grammar of its real language. And so likewise, by a contrary excess, we have seen philosophers falsely degrade these same methods, and confound them with arbitrary nomenclatures, as futile and laborious compilations.

The chemical analysis of the substances in the three great kingdoms of nature; the description of their external form; the exposition of their physical qualities and usual properties; the history of the developement of organized bodies, animals, or plants; their nutrition and reproduction; the details of their organization; the anatomy of their various parts; the functions of each; the history of the manners of animals and their industry to procure food, defence, and habitation, or to seize their prey, or escape from their enemies; the societies of family or species which are formed amongst them; that great mass of truth to which we are led by meditating on the immense chain of organised beings; the relation which successive years produce from brute matter at the most feeble degree of organization, from organised matter to that which affords the first indications of sensibility and spontaneous motion; and from this station to that of man himself; the relation of all these beings with him, whether relative to his wants, the analogies which bring him nearer to them, or the differences by which he is separated: such is the sketch presented to the mind by modern natural history.

The physical man is himself the object of a separate science, anatomy, which, in its general acceptation, includes physiology. This science, which a superstitious respect for the dead had retardad, has taken advantage of the general disappearance of prejudice, and has happily opposed the interest of the preservation of man, which has secured it the patronage of men of eminence. Its progress has been such, that it seems in some sort to be at a stand, in the expectation of more perfect instruments and new methods. It is nearly reduced to seek in the comparative anatomy of the parts of animals and man, in the organs common to the different species, and the manner in which they exercise similar functions, those truths which the direct observation of the human frame appears to refuse. Almost every thing which the eye of the observer, assisted by the microscope, has been able to discover, is already ascertained. Anatomy appears to stand in need of experiments, so useful to the progress of other sciences; but the nature of its object deprives it of this means, so evidently necessary to its perfection.

The circulation of the blood was long since known; but the disposition of the vessels which conveyed the chyle to mix with it, and repair its losses; the existence of a gastric fluid which disposes the elements to the decomposition necessary to separate from organised matter, that portion which is proper to become assimilated with the living fluids; the changes undergone by the various parts and organs in the interval between conception and birth, and afterwards during the different ages of life; the distinction between the parts possessing sensibility and those in which irritability only resides, a property discovered by Haller, and common to almost every organic substance: these facts are the whole of what physiology has been enabled to discover, by indubitable observations, during this brilliant epoch; and these important truths may serve as an apology for the numerous explanations, mechanical, chemical, and organical, which have succeeded each other, and loaded this science with hypotheses destructive to its progress, and dangerous when used as the ground of medical practice. 

To the outline of the sciences we may add that of the arts, which, being founded upon them, have advanced with greater certainty, and broken the shackles of custom and common practice, which heretofore impeded their progress.

We may shew the influence which the progress of mechanics, of astronomy, of optics, and of the art of measuring time, has exercised on the art of constructing, moving, and directing vessels at sea. We may shew how greatly an increase of the number of observers, and a greater degree of accuracy in the astronomical determinations of positions, and in topographical methods, have at last produced an acquaintance with the surface of the globe, of which so little was known at the end of the last century.  How greatly the mechanic arts, properly so called, have given perfection to the processes of art in constructing instruments and machines in the practice of trade, and these last have no less added force to rational mechanism and philosophy. These arts are also greatly indebted to the employment of first movers already known, with less of expence and loss, as well as to the invention of new principles of motion.

Les grands intérêts rendent l'homme superstitieux. On ne crut pas que de telles promesses, qui caressaient les deux plus fortes passions des âmes vulgaires, et allumaient encore celle de la gloire, pussent être remplies par des moyens ordinaires ; et tout ce que la crédulité en délire avait jamais inventé d'extravagances semblait s'être réuni dans la tête des chimistes.

Mais ces chimères cédèrent peu à peu à la philosophie mécanique de Descartes, qui, rejetée elle-même, fit place à une chimie vraiment expérimentale. L'observation des phénomènes qui accompagnaient les compositions et les décompositions réciproques des corps ; la recherche des lois de ces opérations ; l'analyse des substances en éléments de plus en plus simples, acquirent une précision,, une rigueur toujours croissante.

Mais il faut ajouter à ces progrès de la chimie quelques-uns de ces perfectionnements qui, embrassant le système entier d'une science, et consistant encore plus à en étendre les méthodes qu'à augmenter le nombre des vérités qui en forment l'ensemble, présagent et préparent une heureuse révolution. Telle a été la découverte des nouveaux moyens de retenir, de soumettre aux expériences, les fluides expansibles qui s'y étaient jusqu'alors dérobés ; [découverte qui, permettant d'agir sur une classe entière d'êtres nouveaux, et sur ceux déjà connus, réduits à un état où ils échappaient à nos recherches, et ajoutant un élément de plus à presque toutes les combinaisons, a changé, pour ainsi dire, le système entier de la chimie. Telle a été] la formation d'une langue où les noms qui désignent les substances expriment, soit les rapports ou les différences de celles qui ont un élément commun, soit la classe à laquelle elles appartiennent. Tels ont été encore et l'usage d'une écriture scientifique, où ces substances sont représentées par des caractères analytiquement combinés, et qui peut même exprimer les opérations les plus communes ; et les lois générales des affinités ; et l'emploi de tous les moyens, de tous les instruments, qui servent dans la physique à calculer, avec une rigoureuse précision, le résultat des expériences ; et l'application, enfin, du calcul aux phénomènes de la cristallisation, aux lois suivant lesquelles les éléments de certains corps affectent, en se réunissant, des formes régulières et constantes. 

Les hommes, qui n'avaient su longtemps qu'exprimer, par des rêves superstitieux ou philosophiques, la formation du globe, avant de chercher à le bien connaître, ont enfin senti la nécessité d'étudier avec une attention scrupuleuse, soit à la surface, soit dans cette partie de l'intérieur où leurs besoins les ont fait pénétrer, et les substances qui s'y trouvent, et leur distribution fortuite ou régulière, et la disposition des masses qu'elles y ont formées. Ils ont appris à y reconnaître les traces de l'action lente et longtemps prolongée de l'eau de la mer, des eaux terrestres, du feu ; à distinguer la partie de la surface et de la croûte extérieure du globe, où les inégalités, la disposition des substances qu'on y trouve, et souvent ces substances mêmes, sont l'ouvrage du feu, des eaux terrestres, des eaux de mer, d'avec cette autre portion du globe, formée en grande partie des substances hétérogènes, et portant des marques de révolutions plus anciennes, dont les agents nous sont encore inconnus.
 

Les minéraux, les végétaux, les animaux, se divisent en plusieurs espèces, dont les individus ne diffèrent que par des variétés insensibles, peu constantes, ou produites par des causes purement locales : plusieurs de ces espèces se rapprochent par un nombre plus ou moins grand de qualités communes qui servent à établir des divisions successives et de plus en plus étendues. Les naturalistes ont appris à classer méthodiquement les individus, d'après des caractères déterminés, faciles à saisir, seul moyen de se reconnaître au milieu de cette innombrable multitude d'êtres divers. Ces méthodes sont une espèce de langue réelle, où chaque objet est désigné par quelques-unes de ses qualités les plus constantes, et au moyen de laquelle, en connaissant ces qualités, on peut retrouver le nom que porte un objet dans la langue de convention. Ces mêmes langues, lorsqu'elles sont bien faites, apprennent encore quelles sont, pour chaque classe d'êtres naturels, les qualités vraiment essentielles, dont la réunion emporte une ressemblance plus ou moins entière dans le reste de leurs propriétés.

Si l'on a vu quelquefois cet orgueil, qui grossit aux. yeux des hommes les objets d'une étude exclusive et de connaissances péniblement acquises, attacher à ces méthodes une importance exagérée, et prendre, pour la science même ce qui n'était, en quelque sorte, que le dictionnaire et la grammaire de sa langue réelle ; souvent aussi, par un excès contraire, une fausse philosophie a trop rabaissé ces mêmes méthodes, en les confondant avec des nomenclatures arbitraires, comme de futiles et laborieuses compilations.

L'analyse chimique des substances qu'offrent les trois grands règnes de la nature ; la description de leur forme extérieure ; l'exposition de leurs qualités physiques, de leurs propriétés usuelles ; l'histoire du développement des corps organisés, animaux ou plantes, de leur nutrition et de leur reproduction ; les détails de leur organisation ; l'anatomie de leurs diverses parties, les fonctions de chacune d'elles ; l'histoire des mœurs des animaux, de leur industrie pour se procurer de la nourriture, des abris, un logement ; pour saisir leur proie ou se dérober à leurs ennemis ; les sociétés de famille ou d'espèce qui se forment entre eux ; cette foule de vérités où l'on est conduit, en parcourant la chaîne immense des êtres ; les rapports dont les anneaux successifs conduisent de la matière brute au plus faible degré d'organisation, de la matière organisée à celle qui donne les premiers indices de sensibilité et de mouvement spontané ; enfin, de celle-ci jusqu'à l'homme ; les rapports de tous ces êtres avec l'homme, soit relativement à ses besoins, soit dans les analogies qui le rapprochent d'eux, ou dans les différences qui l'en séparent : tel est le tableau que nous présente aujourd'hui l'histoire naturelle.

L'homme physique est lui-même l'objet d'une science à part ; l'anatomie, qui, dans son acception générale, renferme la physiologie, cette science qu'un respect superstitieux pour les morts avait retardée, a profité de l'affaiblissement général des préjugés, et y a heureusement opposé cet intérêt de leur propre conservation, qui lui a concilié le secours des hommes puissants. Ses progrès ont été tels, qu'elle semble en quelque sorte s'être épuisée, attendre des instruments plus parfaits, et des méthodes nouvelles ; être presque réduite à chercher, dans la comparaison entre les parties des animaux et celles de l'homme, entre les organes communs à différentes espèces, entre la manière dont s'exercent des fonctions semblables, les vérités que l'observation directe de l'homme paraît aujourd'hui refuser. Presque tout ce que l’œil de l'observateur, aidé du microscope, a pu découvrir, est déjà dévoilé. L'anatomie paraît avoir besoin du secours des expériences, si utile au progrès des autres sciences, et la nature de son objet éloigne d'elle ce moyen maintenant nécessaire à son perfectionnement.
 

La circulation du sang était depuis longtemps connue ; mais la disposition des vaisseaux qui portent le chyle destiné à se mêler avec lui pour en réparer les pertes ; mais l'existence d'un sue gastrique, qui dispose les aliments à cette décomposition nécessaire, pour en séparer la portion propre à s'assimiler avec les fluides vivants, avec la matière organisée ; mais les changements qu'éprouvent les diverses parties, les divers organes, et dans l'espace qui sépare la conception de la naissance, et depuis cette époque, dans les différents âges de la vie ; mais la distinction des parties douées de sensibilité, ou de cette irritabilité, propriété découverte par Haller, et commune à presque tous les êtres organiques ; voilà ce que la physiologie a su, dans cette époque brillante, découvrir, et appuyer sur des observations certaines ; et tant de vérités importantes doivent obtenir grâce pour ces explications mécaniques, chimiques, organiques, qui, se succédant tour à tour, l'ont surchargée d'hypothèses funestes aux progrès de la science, dangereuses quand leur application s'est étendue jusqu'à la médecine.

Au tableau des sciences doit s'unir celui des arts qui, s'appuyant sur elles, ont pris une marche plus sûre, et ont brisé les chaînes où la routine les avait jusqu'alors retenus.
 

Nous montrerons l'influence que les progrès de la mécanique, ceux de l'astronomie, de l'optique et de l'art de mesurer le temps, ont exercée sur l'art de construire, de mouvoir, de diriger les vaisseaux. Nous exposerons comment l'accroissement du nombre des observateurs, l'habileté plus grande du navigateur, une exactitude plus rigoureuse dans les déterminations astronomiques des positions, et dans les méthodes topographiques, ont fait connaître enfin ce globe encore presque ignoré vers la fin du siècle dernier ; combien les arts mécaniques proprement dits ont dû de perfectionnements à ceux de l'art de construire les instruments, les machines, les métiers ; et ceux-ci aux progrès de la mécanique rationnelle et de la physique ; ce que doivent ces mêmes arts à la science d'employer les moteurs déjà connus, avec moins de dépense et de perte, ou à l'invention de nouveaux moteurs.

We have beheld architecture extend its researches into the science of equilibriums and the theory of fluids, for the means of giving the most commodious and least expensive form to arches, without fear of altering their solidity; and to oppose against the effort of water a resistance computed with greater certainty; to direct the course of that fluid, and to employ it in canals with greater skill and success.

We have beheld the arts dependent on chymistry enriched with new processes; the ancient methods have been simplified, and cleared from useless or noxious substances, and from absurd or imperfect practices introduced from former rude trials; means have been invented to avert those frequently terrible dangers to which workmen were exposed. Thus it is that the application of science has secured to us more of riches and enjoyment, with much less of painful sacrifice or of regret.
 

In the mean time, chemistry, botany, and natural history, have very much enlightened the economical arts, and the culture of vegetables destined to supply our wants; such as the art of supporting, multiplying, and preserving domestic animals; the bringing their races to perfection, and meliorating their products; the art of preparing and preserving the productions of the earth, or those articles which are of animal product.
 

Surgery and pharmacy have become almost new arts, from the period when anatomy and chemistry have offered them more enlightened and more certain direction.

The art of medicine, for in its practice it must be considered as an art, is by this means delivered at least of its false theories, its pedantic jargon, its destructive course of practice, and the servile submission to the authority of men, or the doctrine of colleges; it is taught to depend only on experience. The means of this art have become multiplied, and their combination and application better known; and though it may be admitted that in some parts its progress is merely of a negative kind, that is to say, in the destruction of dangerous practices and hurtful prejudices, yet the new methods of studying chemical medicine, and of combining observations, give us reason to expect more real and certain advances.

We may endeavour more especially to trace that practice of genius in the sciences which at one time descends from an abstract and profound theory to learned and delicate applications; at another, simplifying its means, and proportioning them to its wants, concludes by spreading its advantages through the most ordinary practices; and at others again being rouzed by the wants of this same course of art, it plunges into the most remote speculations, in search of resources which the ordinary state of our knowledge must have refused.

We may remark that those declamations which are made against the utility of theories, even in the most simple arts, have never shewn any thing but the ignorance of the declaimers. We may prove that it is not to the profundity of these theories, but, on the contrary, to their imperfection, that we ought to attribute the inutility or unhappy effects of so many useless applications.

These observations will lead us to one general truth, that in all the arts the results of theory are necessarily modified in practice; that certain sources of inaccuracy exist, which are really inevitable, of which our aim should be to render the effect insensible, without indulging the chimerical hope of removing them; that a great number of data relative to our wants, our means, our time, and our expences which are necessarily overlooked in the theory, must enter into the relative problem of immediate and real practice; and that, lastly by introducing these requisites with that skill which truly constitutes the genius of the practical man, we may at the same time go beyond the narrow limits wherein prejudice against theory threatens to detain the arts, and prevent those errors into which an improper use of theory might lead us.

On verra l'architecture puiser dans la science de l'équilibre et dans la théorie des fluidess les moyens de donner aux voûtes des formes plus commodes et moins dispendieuses sans craindre d'altérer la solidité des constructions ; d'opposer à l'effort des eaux une résistance plus sûrement calculée ; d'en diriger le cours ; de les employer en canaux avec plus d'habileté et de succès.

On verra les arts chimiques s'enrichir de procédés nouveaux ; épurer, simplifier les anciennes méthodes ; se débarrasser de tout ce que la routine y avait introduit de substances Inutiles ou nuisibles, de pratiques vaines ou imparfaites ; tandis qu'on trouvait, en même temps, les moyens de prévenir une partie des dangers, souvent terribles, auxquels les ouvriers y étaient exposés ; et qu'ainsi, en procurant plus de jouissance, plus de richesses, ils ne les faisaient plus acheter par tant de sacrifices douloureux, et par tant de remords.

Cependant, la chimie, la botanique, l'histoire naturelle, répandaient une lumière féconde sur les arts économiques, sur la culture des végétaux destinés à nos divers besoins ; sur l'art de nourrir, de multiplier, de conserver les animaux domestiques, d'en perfectionner les races, d'en améliorer les produits ; sur celui de préparer, de conserver les productions de la terre, ou les denrées que nous fournissent les animaux.

La chirurgie et la pharmacie deviennent des arts presque nouveaux, dès l'instant où l'anatomie et la chimie viennent leur offrir des guides plus éclairés et plus sûrs.

La médecine, qui, dans la pratique, doit être considérée comme un art, se délivre du moins de ses fausses théories, de son jargon pédantesque, de sa routine meurtrière, de sa soumission servile à l'autorité des hommes, aux doctrines des facultés ; elle apprend à ne plus croire qu'à l'expérience. Elle a multiplié ses moyens ; elle sait mieux les combiner et les employer ; et si, dans quelques parties, ses progrès sont en quelque sorte négatifs, s'ils se bornent à la destruction de pratiques dangereuses, des préjugés nuisibles, les méthodes nouvelles d'étudier la médecine chimique et de combiner les observations, annoncent des progrès plus réels et plus étendus.
 

Nous chercherons surtout à suivre cette marche du génie des sciences, qui tantôt descendant d'une théorie abstraite et profonde à des applications savantes et délicates ; simplifiant ensuite ses moyens, les proportionnant aux besoins, finit par répandre ses bienfaits sur les pratiques les plus vulgaires ; et tantôt réveillé par les besoins de cette même pratique, va chercher dans les spéculations les plus élevées, les ressources que des connaissances communes auraient refusées.
 

Nous ferons voir que les déclamations contre l'inutilité des théories, même pour les arts les plus simples, n'ont jamais prouvé que l'ignorance des déclamateurs. Nous montrerons que ce n'est point à la profondeur de ces théories, mais au contraire à leur imperfection, qu'il faut attribuer l'inutilité ou les effets funestes de tant d'applications malheureuses.
 

Ces observations conduiront à cette vérité générale, que, dans tous les arts, les vérités de la théorie sont nécessairement modifiées dans la pratique ; qu'il existe des inexactitudes réellement inévitables, dont il faut chercher à rendre l'effet insensible, sans se livrer au chimérique espoir de les prévenir ; qu'un grand nombre de données relatives aux besoins, aux moyens, au temps, à la dépense, nécessairement négligées dans la théorie, doivent entrer dans le problème relatif à une pratique immédiate et réelle ; et qu'enfin, en y introduisant ces données avec une habileté qui est vraiment le génie de la pratique, on peut à la fois et franchir les limites étroites OÙ les préjugés contre la théorie menacent de retenir les arts, et prévenir les erreurs dans lesquelles un usage maladroit de la théorie pourrait entraîner.

Those sciences which are remote from each other, cannot be extended without bringing them nearer, and forming points of contact between them.

An exposition of the progress of each science is sufficient to shew, that in several the intermediate application of numbers has been useful, as, in almost all, it has been employed to give a greater degree of precision to experiments and observations; and that the sciences are indebted to mechanics which has supplied them with more perfect and more accurate instruments. How much have the discovery of microscopes, and of meteorological instruments contributed to the perfection of natural history. How greatly is this science indebted to chemistry, which, alone, has been sufficient to lead to a more profound knowledge of the objects it considers, by displaying their most intimate nature, and most essential properties—by shewing their composition and elements; while natural history offers to chymistry so many operations to execute, such a numerous set of combinations formed by nature, the true elements of which require to be separated, and sometimes discovered, by an imitation of the natural processes: and, lastly, how great is the mutual assistance afforded to each other by chymistry and natural philosophy; and how greatly have anatomy and natural history been already benefited by these sciences.

But we have yet exposed no more than a small portion of the advantages which have been received, or may be expected, from these applications.  Many geometers have given us general methods of deducing, from observations of the empiric laws of phenomena, methods which extend to all the sciences; because they are in all cases capable of affording us the knowledge of the law of the successive values of the same quantity, for a series of instants or positions; or that law according to which they are distributed, or which is followed by the various properties and values of a fimilar quality among a given number of objects.

Applications have already proved, that the science of combination may be successfully employed to dispose observations, in such a manner, that their relations, results, and sum may with more facility be seen.

The uses of the calculation of probabilities sorctel how much they may be applied to advance the progress of other sciences; in one case, to determine the probability of extraordinary facts, and to shew whether they ought to be rejected, or whether, on the contrary, they ought to be verified; or in calculating the probability of the return of those facts which often present themselves in the practice of the arts, and are not connected together in an order, yet considered as a general law. Such, for example, in medicine, is the salutary effect of certain remedies, and the success of certain preservatives. These applications likewise shew us how great is the probability that a series of phenomena should result from the intention of a thinking being; whether this being depends on other co-existent, or antecedent phenomena; and how much ought to be attributed to the necessary and unknown cause denominated chance, a word the sense of which can only be known with precision by studying this method of computing.

The sciences have likewise taught us to ascertain the several degrees of certainty to which we may hope to attain; the probability according to which we can adopt an opinion, and make it the basis of our reasonings, without injuring the rights of sound argument, and the rules of our conduct—without deficiency in prudence, or offence to justice. They shew what are the advantages or disadvantages of various forms of election, and modes of decision dependant on the plurality of voices; the different degrees of probability which may result from such proceedings; the method which public interest requires to be followed, according to the nature of each question; the means of obtaining it nearly with certainty, when the decision is not absolutely necessary, or when the inconveniences of two conclusions being unequal, neither of them can become legitimate until beneath this probability; or the assurance beforehand of most frequently obtaining this same probability, when, on the contrary, a decision is necessary to be made, and the most feeble preponderance of probability is sufficient to produce a rule of practice.

Among the number of these applications we may likewise state, an examination of the probability of facts for the use of such as have not the power, or means, to support their conclusions upon their own observations; a probability which results either from the authority of witnesses, or the connection of those facts with others immediately observed.

How greatly have inquiries into the duration of human life, and the influence in this respect of sex, temperature, climate, profession, government, and habitudes of life; on the mortality which results from different diseases; the changes which population experiences; the extent of the action of different causes which produce these changes; the manner of its distribution, in each country, according to the age, sex, and occupation:—how greatly useful have these researches been to the physical knowledge of man, to medicine, and to public economy.

Les sciences, qui s'étaient divisées, n'ont pu s'étendre sans se rapprocher, sans qu'il se formât entre elles des points de contact.

L'exposition des progrès de chaque science suffirait pour montrer quelle a été dans plusieurs l'utilité de l'application immédiate du calcul ; combien, dans presque toutes, il a pu être employé à donner aux expériences et aux observations une précision plus grande ; ce qu'elles ont dû à la mécanique qui leur a donné des instruments plus parfaits et plus exacts ; combien la découverte des microscopes et celles des instruments météorologiques ont contribué au perfectionnement de l'histoire naturelle ; ce que cette science doit à la chimie, qui seule a pu la conduire à une connaissance plus approfondie des objets qu'elle considère ; lui en dévoiler la nature la plus intime, les différences les plus essentielles, en lui en montrant la composition et les éléments ; tandis que l'histoire naturelle offrait à la chimie tant de produits à séparer et à recueillir, tant d'opérations à exécuter, tant de combinaisons formées par la nature, dont il fallait séparer les véritables éléments, et quelquefois découvrir ou même imiter le secret ; enfin quels secours mutuels la physique et la chimie se sont prêtés, et combien l'anatomie en a déjà reçu, on de l'histoire naturelle, ou de ces sciences. 
 

Mais on n'aurait encore exposé que la plus petite portion des avantages qu'on a reçus, qu'on peut attendre de cette application. Plusieurs géomètres ont donné des méthodes générales de trouver, d'après les observations les lois empiriques des phénomènes, méthodes qui s'étendent à toutes les sciences, puisqu'elles peuvent également conduire à connaître, soit la loi des valeurs successives d'une même quantité pour une suite d'instants ou de positions, soit celle suivant laquelle se distribuent, ou diverses propriétés, ou diverses valeurs d'une qualité semblable, entre un nombre donné d'objets.

Déjà quelques applications ont prouvé qu'on peut employer avec succès la science des combinaisons. pour disposer les observations de manière à en pouvoir saisir avec plus de facilité les rapports, les résultats et l'ensemble.

Les applications du calcul des probabilités font présager combien elles peuvent concourir aux progrès des autres sciences ; ici, en déterminant la vraisemblance des faits extraordinaires, et en apprenant à juger s'ils doivent être rejetés, ou si, au contraire, ils méritent d'être vérifiés ; là, en calculant celle du retour constant de ces faits qui se présentent souvent dans la pratique des arts, et qui ne sont point liés par eux-mêmes à un ordre déjà regardé comme une loi générale : tel est, par exemple, en médecine, l'effet salutaire de certains remèdes, le succès de certains préservatifs. Ces applications nous montrent encore quelle est la probabilité qu'un ensemble de phénomènes résulte de l'intention d'un être intelligent, qu'il dépend d'autres phénomènes qui lui coexistent, ou l'ont précédé ; et celle qu'il doive être attribué à cette cause nécessaire et inconnue que l'on nomme hasard ; mot dont l'étude de ce calcul peut seule bien faire connaître le véritable sens.

Ces applications ont appris également à reconnaître les divers degrés de certitude où nous pouvons espérer d'atteindre ; la vraisemblance d'après laquelle nous pouvons adopter une opinion, en faire la base de nos raisonnements, sans blesser les droits de la raison et la règle de notre conduite ; sans manquer à la prudence, ou sans offenser la justice. Elles montrent quels sont les avantages ou les inconvénients des diverses formes d'élection, des divers modes de décisions prises à la pluralité des voix ; les différents degrés de probabilité qui en peuvent résulter ; celui que l'intérêt publie doit exiger suivant la nature de chaque question ; les moyens, soit de l'obtenir presque sûrement lorsque la décision n'est pas nécessaire, ou que les inconvénients de deux partis étant inégaux, l'un d'eux ne peut être légitime tant qu'il reste au-dessous de cette probabilité ; soit d'être assuré d'avance d'obtenir souvent cette même probabilité, lorsqu'au contraire la décision est nécessaire, et que la plus faible vraisemblance suffit pour s'y conformer.
 
 

On peut mettre encore au nombre de ces applications l'examen de la probabilité des faits, pour celui qui ne peut appuyer son adhésion sur ses propres observations ; probabilité qui résulte, ou de l'autorité des témoignages, ou de la liaison de ces faits avec d'autres immédiatement observés.
 

Combien les recherches sur la durée de la vie des hommes, sur l'influence qu'exerce sur cette durée, la différence des sexes, des températures, du climat, des professions, des gouvernements, des habitudes de la vie ; sur la mortalité qui résulte des diverses maladies ; sur les changements que la population éprouve ; sur l'étendue de l'action des diverses causes qui produisent ces changements ; sur la manière dont elle est distribuée dans chaque pays, suivant les âges, les sexes, les occupations ; combien toutes ces recherches ne peuvent-elles pas être utiles à la connaissance physique de l'homme, à la médecine, à l'économie publique !

How extensively have computations of this nature been applied for the establishment of annuities, tontines, accumulating funds, benefit societies, and chambers of assurance of every kind.
 

Is not the application of numbers also necessary to that part of the public economy which includes the theory of public measures, of coin, of banks and financial operations, and lastly, that of taxation, as established by law, and its real distribution, which so frequently differs, in its effects on all the parts of the social system.

What a number of important questions in this same science are there, which could not have been properly resolved without the knowledge acquired in natural history, agriculture, and the philosophy of vegetables, which influence the mechanical or chymical arts.

In a word, such has been the general progress of the sciences, that it may be said there is not one which can be considered as to the whole extent of its principles and detail, without our being obliged to borrow the assistance of all the others.

In presenting this sketch both of the new facts which have enriched the sciences respectively, and the advantages derived in each from the application of theories, or methods, which seem to belong more particularly to another department of knowledge, we may endeavour to ascertain what is the nature and the limits of those truths to which observation, experience, or meditation, may lead us in each science; we may likewise investigate what it is precisely that constitutes that talent of invention which is the first faculty of the human mind, and is known by the name of genius; by what operations the understanding may attain the discoveries it pursues, or sometimes be led to others not sought, or even possible to have been foretold; we may shew how far the methods which lead to discovery may be exhausted, so that science may, in a certain respect, be at a stand, till new methods are invented to afford an additional instrument to genius, or to facilitate the use of those which cannot be employed without too great a consumption of time and fatigue.
 

If we confine ourselves to exhibit the advantages deduced from the sciences in their immediate use or application to the arts, whether for the welfare of individuals or the prosperity of nations, we shall have shewn only a small part of the benefits they afford. 

The most important perhaps is, that prejudice has been destroyed, and the human understanding in some sort rectified; after having been forced into a wrong direction by absurd objects of belief, transmitted from generation to generation, taught at the misjudging period of infancy, and enforced with the terrors of superstition and the dread of tyranny.

All the errors in politics and in morals are founded upon philosophical mistakes, which, themselves, are connected with physical errors. There does not exist any religious system, or supernatural extravagance, which is not founded on an ignorance of the laws of nature. The inventors and defenders of these absurdities could not foresee the successive progress of the human mind. Being persuaded that the men of their time knew every thing, they would ever know, and would always believe that in which they then had fixed their faith; they confidently built their reveries upon the general opinions of their own country and their own age.

The progress of natural knowledge is yet more destructive of these errors, because it frequently destroys them without seeming to attack them, by attaching to those who obstinately defend them the degrading ridicule of ignorance.

At the same time, the just habit of reasoning on the object of these sciences, the precise ideas which their methods afford, and the means of ascertaining or proving the truth, must naturally lead us to compare the sentiment which forces us to adhere to opinions founded on these real motives of credibility, and that which attaches us to our habitual prejudices, or forces us to yield to authority. This comparison is sufficient to teach us to mistrust these last opinions, to shew that they were not really believed, even when that belief was the most earnestly and the most sincerely professed. When this discovery is once made, their destruction becomes much more speedy and certain.
 

Lastly, this progress of the physical sciences, which the passions and interest do not interfere to disturb; wherein it is not thought that birth, profession, or appointment have given a right to judge what the individual is not in a situation to understand; this more certain progress cannot be observed, unless enlightened men shall search in the other sciences to bring them continually together. This progress at every step exhibits the model they ought to follow; according to which they may form a judgment of their own efforts, ascertain the false steps they may have taken, preserve themselves from pyrrhonism as well as credulity, and from a blind mistrust or too extensive submission to the authorities even of men of reputation and knowledge.

Combien l'économie publique n'a-t-elle pas fait usage de ces mêmes calculs, pour les établissements des rentes viagères, des tontines, des caisses d'accumulation et de secours, des chambres d'assurance de toute espèce !

L'application du calcul n'est-elle pas encore nécessaire à cette partie de l'économie publique qui embrasse la théorie des mesures, celles des monnaies, des banques, des opérations de finances, enfin celle des impositions, de leur répartition établie par la loi, de leur distribution réelle qui s'en écarte si souvent, de leurs effets sur toutes les parties du système social ?

Combien de questions importantes, dans cette même science, n'ont pu être bien résolues qu'à l'aide des connaissances acquises sur l'histoire naturelle, sur l'agriculture, sur la physique végétale, sur les arts mécaniques ou chimiques !

En un mot, tel a été le progrès général des sciences qu'il n'en est pour ainsi dire aucune qui puisse être embrassée tout entière dans ses principes, dans ses détails, sans être obligée d'emprunter le secours de toutes les autres.

En présentant ce tableau, et des vérités nouvelles dont chaque science s'est enrichie, et de ce que chacune doit à l'application des théories ou des méthodes qui semblent appartenir plus particulièrement à des connaissances d'un autre ordre, nous chercherons quelle est la nature et la limite des vérités auxquelles l'observation, l'expérience, la méditation peuvent nous conduire dans chaque science ; nous chercherons également en quoi, pour chacune d'elles, consiste précisément Je talent de l'invention, cette première faculté de l'intelligence humaine, à laquelle on a donné le nom de génie ; par quelles opérations l'esprit peut atteindre les découvertes qu'il poursuit, ou quelquefois être conduit à celles qu'il ne cherchait pas, qu'il n'avait pu même prévoir. Nous montrerons comment les méthodes qui nous mènent à des découvertes peuvent s'épuiser de manière que la science soit en quelque sorte forcée de s'arrêter, si des méthodes nouvelles ne viennent fournir un nouvel instrument au génie, ou lui faciliter l'usage de celles qu'il ne peut plus employer sans y consommer trop de temps et de fatigues.

Si nous nous bornions à montrer les avantages qu'on a retirés des sciences dans leurs usages immédiats, ou dans leurs applications aux arts, soit pour le bien-être des individus, soit pour la prospérité des nations, nous n'aurions fait connaître encore qu'une faible partie de leurs bienfaits.

Le plus important peut-être est d'avoir détruit les préjugés, et redressé en quelque sorte l'intelligence humaine, forcée de se plier aux fausses directions que lui imprimaient les croyances absurdes transmises à l'enfance de chaque génération, avec les terreurs de la superstition et la crainte de la tyrannie.

Toutes les erreurs en politique, en morale, ont pour base des erreurs philosophiques, qui elles-mêmes sont liées à des erreurs physiques. Il n'existe, ni un système religieux, ni une extravagance surnaturelle, qui ne soit fondée sur l'ignorance des lois de la nature. Les inventeurs, les défenseurs de ces absurdités, ne pouvaient prévoir le perfectionnement successif de l'esprit humain. Persuadés que les hommes savaient, de leur temps, tout ce qu'ils pouvaient jamais savoir, et croiraient toujours ce qu'ils croyaient alors, ils appuyaient avec confiance leurs rêveries sur les opinions générales de leur pays et de leur siècle.
 

Les progrès des connaissances physiques sont même d'autant plus funestes à ces erreurs, que souvent ils les détruisent sans paraître les attaquer, [et en répandant sur ceux qui s'obstinent àles défendre le ridicule avilissant de l'ignorance].

En même temps l'habitude de raisonner juste sur les objets de ces sciences, les idées précises que donnent leurs méthodes, les moyens de reconnaître ou de prouver une vérité, doivent conduire naturellement à comparer le sentiment qui nous force d'adhérer à des opinions fondées sur ces motifs réels de crédibilité, et celui qui nous attache à nos préjugés d'habitude, ou qui nous force de céder à l'autorité : et cette comparaison suffit pour apprendre à se délier de ces dernières opinions, pour faire sentir qu'on ne les croit réellement pas, lors même qu'on se vante de les croire, qu'on les professe avec la plus pure sincérité. Or ce secret, une fois découvert, rend leur destruction prompte et certaine.

Enfin, cette marche des sciences physiques que les passions et l'intérêt ne viennent pas troubler, où l'on ne croit pas que la naissance, la profession, les places donnent le droit de juger ce qu'on n'est pas en état d'entendre ; cette marche plus sûre ne pouvait être observée sans que les hommes éclairés cherchassent dans les autres sciences à s'en rapprocher sans cesse ; elle leur offrait à chaque pas le modèle qu'ils devaient suivre, d'après lequel ils pouvaient juger de leurs propres efforts, reconnaître les fausses routes où ils auraient pu s'engager, se préserver du pyrrhonisme comme de la crédulité et d'une aveugle défiance, d'une soumission trop entière même à l'autorité des lumières et de la renommée.

The metaphysical analysis would, no doubt, lead to the same results, but it would have afforded only abstract principles. In this method, the same abstract principles being put into action, are enlightened by example, and fortified by success.

Until the present epoch, the sciences have been the patrimony only of a few; but they are already become common, and the moment approaches in which their elements, their principles, and their most simple practice, will become really popular. Then it will be seen how truly universal their utility will be in their application to the arts, and their influence on the general rectitude of the mind.

We may trace the progress of European nations in the instruction of children, or of men; a progress hitherto feeble, if we attend merely to the philosophical system of this instruction, which, in most parts, is still confined, to the prejudices of the schools; but very rapid if we consider the extent and nature of the objects taught, which no longer comprehending any points of knowledge but such as are real, includes the elements of almost all the sciences; while men of all descriptions find in dictionaries, abridgments, and journals the information they require, though not always of the purest kind. We may examine the degree of utility resulting from oral instruction in the sciences, added to that which is immediately received by books and study; whether any advantage has resulted from the labour of compilation having become a real trade, a means of subsistence, which has multiplied the number of inferior works, but has likewise multiplied the means of acquiring common knowledge to men of small information. We may mark the influence which learned societies have exercised on the progress of the human mind, a barrier which will long be useful to oppose against ignorant pretenders and false knowledge: and lastly, we may exhibit the history of the encouragements given by governments to that progress, and the obstacles which have often been opposed to it in the same country and at the same period. We may shew what prejudices or principles of Machiavelism have directed them in this opposition to the advances of man towards truth; what views of interested policy, or even public good, have directed them when they have appeared, on the contrary, to be desirous of accelerating and protecting them.
 
 

The picture of the fine arts offers to our view results of no less brilliancy. Music is become, in a certain respect, a new art; while the science of combination, and the application of numbers to the vibrations of sonorous bodies, and the oscillations of the air, have enlightened its theory. The arts of design, which formerly passed from Italy to Flanders, Spain and France, elevated themselves in this last country to the same degree that Italy carried them in the preceding epocha; where they have been supported with more reputation than in Italy itself. The art of our painters is that of Raphael and Carrachi. All the means of the art being preserved in the schools, are so far from being lost, that they have become more extended. Nevertheless, it must be admitted, that too long a time has elapsed without producing a genius which may be compared to them, to admit of this long sterility being attributed to chance. It is not because the means of art are exhausted that great success is really become difficult; it is not that nature has refused us organs equally perfect with those of the Italians of the sixth age; it is merely to the changes of politics and manners that we ought to attribute, not the decay of the art, but the mediocrity of its productions.

Literary productions (cultivated in Italy with less success but without having degenerated) have made such progress in the French language, as has acquired it the honour of becoming, in some sort, the universal language of Europe.

The tragic art, in the hands of Corneille, Racine, and Voltaire, has been raised, by successive progress, to a perfection before unknown. The comic art is indebted to Moliere for having speedily arrived to an elevation not yet attained by any other people.

In England, from the commencement of the same epoch, and in a still later time in Germany, language has been rendered more perfect. The art of poetry, as well as that of prose writing, have been subjected, though with less docility than in France, to the universal rules of reason and nature, which ought to direct them. These rules are equally true for all languages and all people, though the number of men has hitherto been few who have succeeded in arriving at the knowledge of them, and rising to the just and pure taste which results from that knowledge. These rules presided over the compositions of Sophocles and Virgil, as well as those of Pope and Voltaire; they taught the Greeks and Romans, as well as the French, to be struck with the same beauties, and shocked at the same faults. 

We may also investigate what it is in each nation that has favoured or retarded the progress of these arts; by what causes the different kinds of poetry, or works in prose, have attained in the different countries a degree of perfection so unequal; and how far these universal rules may, without offending their own fundamental principles, be modified by the manners and opinions of the people who are to possess their productions, and even by the nature of the uses to which their different species are designed. Thus, for example, a tragedy daily recited before a small number of spectators, in a theatre of confined extent, cannot follow the same practical rules as a tragedy exhibited on an immense theatre, in the solemn festivals to which a whole people was invited. We may attempt to shew, that the rules of taste possess the same generality and the same constancy, though they are susceptible of the same modifications as the other laws of the moral and physical universe, when it is necessary to apply them to the immediate practice of a common art.

We may shew how far the art of printing, by multiplying and disseminating even those works which are designed to be publicly read or recited, transmit them to a number of readers incomparably greater than that of the auditors. We may shew how most of the important decisions by numerous assemblies, having been determined from the previous instruction their members had received by writing, there must have resulted in the art of persuasion among the ancients and among the moderns, differences in the rules, analogous to the effect intended to be produced and the means employed; and how, lastly, in the different species of knowledge, even with the ancients, certain works were for perusal only—such as those of history or philosophy. The facility which the invention of printing affords, to enter into a more extensive detail and more accurate developement, must have likewise influenced the same rules.

Sans doute, l'analyse métaphysique conduisait aux mêmes résultats ; mais elle n'eût donné que des préceptes abstraits ; et ici les mêmes principes abstraits, mis en action, étaient éclairés par l'exemple, fortifiés par le succès.

Jusqu'à cette époque les sciences n'avaient été que le patrimoine de quelques hommes ; déjà elles sont devenues communes, et le moment approche où leurs éléments, leurs principes, leurs méthodes les plus simples deviendront vraiment populaires. C'est alors que leur application aux arts, que leur influence sur la justesse générale des esprits sera d'une utilité vraiment universelle.

Nous suivrons les progrès des nations européennes dans l'instruction, soit des enfants, soit des hommes ; progrès faibles jusqu'ici, si l'on regarde seulement le système philosophique de cette instruction, qui, presque partout, est encore livrée aux préjugés scolastiques ; mais très rapides, si l'on considère l'étendue et la nature des objets de l'enseignement, qui, n'embrassant presque plus que des connaissances réelles, renferme les éléments de presque toutes les sciences, tandis que les hommes de tous les âges trouvent, dans les dictionnaires, dans les abrégés, dans les journaux, les lumières dont ils ont besoin, quoiqu'elles n'y soient pas toujours assez pures. Nous examinerons quelle a été l'utilité de joindre l'instruction orale des sciences, à celle qu'on reçoit immédiatement par les livres et par l'étude ; s'il est résulté quelque avantage de ce que le travail des compilations est devenu un véritable métier, un moyen de subsistance, ce qui a multiplié le nombre des ouvrages médiocres, mais en multipliant aussi, pour les hommes peu instruits, les moyens d'acquérir des connaissances communes. Nous exposerons l'influence qu'ont exercée, sur les progrès de l'esprit humain, ces sociétés savantes, barrière qu'il sera encore longtemps utile d'opposer à la charlatanerie et au faux savoir ; nous ferons, enfin, l'histoire des encouragements donnés par les gouvernements aux progrès de l'esprit humain, et des obstacles qu'ils y ont opposés souvent dans le même pays et à la même époque ; nous ferons voir quels préjugés ou quels principes de machiavélisme, les ont dirigés dans cette opposition à la marche des esprits vers la vérité ; quelles vues de politique intéressée ou même de bien publie les ont guidés, quand ils ont paru au contraire vouloir l'accélérer et la protéger.

Le tableau des beaux-arts n'offre pas des résultats moins brillants, La musique est devenue, en quelque sorte, un art nouveau, en même temps que la science des combinaisons et l'application du calcul aux vibrations du corps sonore, et des oscillations de l'air, en ont éclairé la théorie. Les arts du dessin, qui déjà avaient passé d’Italie en Flandre, en Espagne, en France, s'élevèrent, dans ce dernier pays, à ce même degré où l'Italie les avait portés dans l'époque précédente, et ils s'y sont soutenus avec plus d'éclat qu'en Italie même. L'art de nos peintres est celui des Raphaël et des Carraches. Tous ces moyens, conservés dans les écoles, loin de se perdre, ont été plus répandus. Cependant, il s'est écoulé trop de temps sans produire de génie qui puisse lui être comparé, pour n'attribuer qu'au hasard cette longue stérilité. Ce n'est pas que les moyens de l'art aient été épuisés, quoique les grands succès y soient réellement devenus plus difficiles. Ce n'est pas que la nature nous ait refusé des organes aussi parfaits que ceux des Italiens du XVIe siècle ; c'est uniquement aux changements dans la politique, dans les mœurs, qu'il faut attribuer, non la décadence de l'art, mais la faiblesse de ses productions.

Les lettres cultivées en Italie avec moins de succès, mais sans y avoir dégénéré, on fait, dans la langue française, des progrès qui lui ont mérité l'honneur de devenir, en quelque sorte, la langue universelle de l'Europe.

L'art tragique, entre les mains de Corneille, de Racine, de Voltaire, s'est élevé, par des progrès successifs, à une perfection jusqu'alors inconnue. L'art comique doit à Molière d'être parvenu plus, promptement à une hauteur qu'aucune nation n'a pu encore atteindre.

En Angleterre, dès le commencement de cette époque, et dans un temps plus voisin de nous, en Allemagne, la langue s'est perfectionnée. L'art de la poésie, celui d'écrire en prose, ont été soumis, mais avec moins de docilité qu'en France, à ces règles universelles de la raison et de la nature qui doivent les diriger. Elles sont également vraies pour toutes les langues, pour tous les peuples, bien que jusqu'ici un petit nombre seulement ait pu les connaître, et s'élever à ce goût juste et sûr, qui n'est que le sentiment de ces mêmes règles, qui présidait aux compositions de Sophocle et de Virgile, comme à celles de Pope et de Voltaire, qui enseignait aux Grecs, aux Romains, comme aux Français, à être frappés des mêmes beautés et révoltés des mêmes défauts.
 

Nous ferons voir ce qui, dans chaque nation, a favorisé ou retardé les progrès de ces arts ; par quelles causes les divers genres de poésie ou d'ouvrages en prose ont atteint, dans les différents pays, une perfection si inégale, et comment ces règles universelles .peuvent, sans blesser même les principes qui en sont la base, être modifiées par les mœurs, par les opinions des peuples qui doivent jouir des productions de ces arts, et par la nature même des usages auxquels leurs différents genres sont destinés. Ainsi, par exemple, la tragédie, récitée tous les jours devant un petit nombre de spectateurs dans une salle peu étendue, ne peut avoir les mêmes règles pratiques que la tragédie chantée sur un théâtre immense, dans des fêtes solennelles où tout un peuple était invité. Nous essayerons de prouver que les règles du goût ont la même généralité, la même constance, mais sont susceptibles du même genre de modification que les autres lois de l'univers moral et physique, quand il faut les appliquer à la pratique immédiate d'un art usuel.
 

Nous montrerons comment l'impression multipliant, répandant les ouvrages même destinés à être publiquement lus ou récités, les transmet à un nombre de lecteurs incomparablement plus grand que celui des auditeurs ; comment presque toutes les décisions importantes, prises dans des assemblées nombreuses, étant déterminées d'après l'instruction que leurs membres reçoivent par la lecture, il a dû en résulter, entre les règles de l'art de persuader chez les anciens et chez les modernes, des différences analogues à celle de l'effet qu'il doit produire, et du moyen qu'il emploie ; comment, enfin, dans les genres où, même chez les anciens, on se bornait à la lecture des ouvrages, comme l'histoire ou la philosophie, la facilité que donne l'invention de l'imprimerie de se livrer à plus de développements et de détails, a dû encore influer sur ces mêmes règles.

The progress of philosophy and the sciences have extended and favoured those of letters, and these in their turn have served to render the study of the sciences more easy, and philosophy itself more popular. They have lent mutual assistance to each other, in spite of the efforts of ignorance and folly to disunite and render them inimical. Erudition, which a respect for human authority and ancient things seemed to have destined to support the cause of hurtful prejudices; this erudition has, nevertheless, assisted in destroying them, because the sciences and philosophy have enlightened it with a more legitimate criticism. It already knew the method of weighing authorities, and comparing them with each other, but it has at length submitted them to the tribunal of reason; it had rejected the prodigies, absurd tales, and facts contrary to probability; but, by attacking the testimony upon which they were supported, men have learned to reject them, in spite of the force of these witnesses, that they might give way to that evidence which the physical or moral improbability of extraordinary facts might carry with them.

Hence it is seen that all the intellectual occupations of men, however differing in their object, their method, or the qualities of mind which they require, have concurred in the progress of human reason. It is the same with the entire system of the labours of men as with a well-composed work; of which the parts, though methodically distinct, must, nevertheless, be closely connected to form one single whole, and tend to one single object.

While we thus take a general view of the human species, we may prove that the discovery of true methods in all the sciences; the extent of the theories they include; their application to all the objects of nature, and all the wants of man; the lines of communication established between them; the great number of those who cultivate them; and, lastly, the multiplication of printing presses, are sufficient to assure us, that none of them will hereafter descend below the point to which it has been carried. We may shew that the principles of philosophy, the maxims of liberty, the knowledge of the true rights of man, and his real interest, are spread over too many nations, and in each of those nations direct the opinions of too great a number of enlightened men, for them ever to fall again into oblivion.
 

What fear can be entertained when we find that the two languages the most universally extended, are, likewise, the languages of two people who possess the most extended liberty; who have best known its principles. So that no confederacy of tyrants, nor any possible combination of policy, can prevent the rights of reason, as well as those of liberty, from being openly defended in both languages.

But if it be true, as every prospect assures us, that the human race shall not again relapse into its ancient barbarity; if every thing ought to assure us against that pusillanimous and corrupt system which condemns man to eternal oscillations between truth and falsehood, liberty and servitude, we must, at the same time, perceive that the light of information is spread over a small part only of our globe; and the number of those who possess real instruction, seems to vanish in the comparison with the mass of men consigned over to ignorance and prejudice. We behold vast countries groaning under slavery, and presenting nations in one place, degraded by the vices of civilization, so corrupt as to impede the progress of man; and in others, still vegetating in the infancy of its early age. We perceive that the exertions of these last ages have done much for the progress of the human mind, but little for the perfection of the human species; much for the glory of man, somewhat for his liberty, but scarcely any thing yet for his happiness. In a few directions, our eyes are struck with a dazzling light; but thick darkness still covers an immense horison. The mind of the philosopher reposes with satisfaction upon a small number of objects, but the spectacle of the stupidity, the slavery, the extravagance, and the barbarity of man, afflicts him still more strongly. The friend of humanity cannot receive unmixed pleasure but by abandoning himself to the endearing hope of the future.

Such are the objects which ought to enter into an historical sketch of the progress of the human mind. We may endeavour, while we hold them forward, to shew more especially the influence of this progress upon the opinions and the welfare of the general mass of different nations, at the different epochas of their political existence; to shew what truths they have known, what errors have been destroyed, what virtuous habits contracted, what new developement of their faculties has established a happier proportion between their powers and their wants: And, under an opposite point of view, what may be the prejudices to which they have been enslaved; what religious or political superstitions have been introduced; by what vices, of ignorance or despotism, they have been corrupted; and to what miseries, violence or their own degradation have subjected them.

Hitherto, political history, as well as that of philosophy and the sciences, has been merely the history of a few men. That which forms in truth the human species, the mass of families, which subsist almost entirely upon their labour, has been forgotten; and even among that class of men who, devoted to public professions, act not for themselves but for society; whose occupation it is to instruct, to govern, to defend, and to comfort other men, the chiefs only have fixed the attention of historians.

It is enough for the history of individuals that facts be collected, but the history of a mass of men can be founded only on observations; and, in order to select them, and to seize the essential traits, it is requisite the historian should possess considerable information, and no less of philosophy, to make a proper use of them.

Les progrès de la philosophie et des sciences ont étendu, ont favorisé ceux des lettres, et celles-ci ont servi à rendre l'étude des sciences plus facile, et la philosophie plus populaire. Elles se sont prêté un mutuel appui, malgré les efforts de l'ignorance et de la sottise pour les désunir, pour les rendre ennemies. L'érudition, que la soumission à l'autorité humaine, le respect pour les choses anciennes, semblait destiner à soutenir la cause des préjugés nuisibles ; l'érudition a cependant aidé à les détruire, parce que les sciences et la philosophie lui ont prêté le flambeau d'une critique plus saine. Elle savait déjà peser les autorités, les comparer entre elles ; elle a fini par les soumettre elles-mêmes au tribunal de la raison. Elle avait rejeté les prodiges, les contes absurdes, les faits contraires à la vraisemblance ; mais en attaquant les témoignages sur lesquels ils s'appuyaient, elle a su depuis les rejeter, malgré la force de ces témoignages, pour ne céder qu'à celle qui pourrait l'emporter sur l'invraisemblance physique ou morale des faits extraordinaires.
 

Ainsi, toutes les occupations intellectuelles des hommes, quelque différentes qu'elles soient par leur objet, leur méthode, ou par les qualités d'esprit qu'elles exigent, ont concouru aux progrès de la raison humaine. Il en est, en effet, du système entier des travaux des hommes, comme d'un ouvrage bien fait, dont les parties, distinguées avec méthode, doivent être cependant étroitement liées, ne former qu'un seul tout, et tendre à un but unique.

En portant maintenant un regard général sur l'espèce humaine, nous montrerons que la découverte des vraies méthodes dans toutes les sciences, l'étendue des théories qu'elles renferment, leur application à tous les objets de la nature, à tous les besoins des hommes, les lignes de communication qui se sont établies entre elles, le grand nombre de ceux qui les cultivent ; enfin, la multiplication des imprimeries, suffisent pour nous répondre qu'aucune d'elles ne peut descendre désormais au-dessous du point où elle a été portée. Nous ferons observer que les principes de la philosophie, les maximes de la liberté, la connaissance des véritables droits de l'homme et de ses intérêts réels, sont répandus dans un trop grand nombre de nations, et dirigent dans chacune d'elles les opinions d'un trop grand nombre d'hommes éclairés, pour qu'on puisse redouter de les voir jamais retomber dans l'oubli.

Et quelle crainte pourrait-on conserver encore, en voyant que les deux langues qui sont les plus répandues, sont aussi les langues des deux peuples qui jouissent de la liberté la plus entière ; qui en ont le mieux connu les principes ; en sorte que, ni aucune ligue de tyrans, ni aucune des combinaisons politiques possibles, ne peut empêcher de défendre hautement, dans ces deux langues, les droits de la raison, comme ceux de la liberté ?

Mais, si tout nous répond que le genre humain ne doit plus retomber dans son ancienne barbarie ; si tout doit nous rassurer contre ce système pusillanime et corrompu, qui le condamne à d'éternelles oscillations entre la vérité et l'erreur, la liberté et la servitude, nous voyons en même temps les lumières n'occuper encore qu'une faible partie du globe, et le nombre de ceux qui en ont de réelles disparaître devant la masse des hommes livrés aux préjugés et à l'ignorance. Nous voyons de vastes contrées gémissant dans l'esclavage, et n'offrant que des nations, ici dégradées par les vices d'une civilisation dont la corruption ralentit la marché ; là, végétant encore dans l'enfance de ses premières époques. Nous voyons que les travaux de ces derniers âges ont beaucoup fait pour le progrès de l'esprit humain, mais peu pour le perfectionnement de l'espèce humaine ; beaucoup pour la gloire de l'homme ; quelque chose pour sa liberté, presque rien encore pour son bonheur. Dans quelques points, nos yeux sont frappés d'une lumière éclatante ; mais d'épaisses ténèbres couvrent encore un immense horizon. L'âme du philosophe se repose avec consolation sur un petit nombre d'objets ; mais le spectacle de la stupidité, de l'esclavage, de l'extravagance, de la barbarie, l'afflige plus souvent encore ; et l'ami de l'humanité ne peut goûter de plaisir sans mélange qu'en s'abandonnant aux douces espérances de l'avenir.

Tels sont les objets qui doivent entrer dans un tableau historique des progrès de l'esprit humain. Nous chercherons, en les présentant, à montrer surtout l'influence de ces progrès sur les opinions, sur le bien-être de la masse générale des diverses nations, aux différentes époques de leur existence politique ; à montrer quelles vérités elles ont connues ; de queues erreurs elles ont été détrompées ; quelles habitudes vertueuses elles ont contractées ; quel développement nouveau de leurs facultés a établi une proportion plus heureuse entre ces facultés et leurs besoins ; et, sous un point de vue opposé, de quels préjugés elles ont été les esclaves ; quelles superstitions religieuses ou politiques s'y sont introduites ; par quels vices l'ignorance ou le despotisme les ont corrompues ; à quelles misères la violence ou leur propre dégradation les ont soumises.

Jusqu'ici, l'histoire politique, comme celle de la philosophie et des sciences, n'a été que l'histoire de quelques hommes ; ce qui forme véritablement l'espèce humaine, la masse des familles qui subsistent presque en entier de leur travail a été oubliée ; et même dans la classe de ceux qui, livrés à des professions publiques, agissent, non pour eux-mêmes, mais pour la société ; dont l'occupation est d'instruire, de gouverner, de défendre, de soulager les autres hommes, les chefs seuls ont fixé les regards des historiens.

Pour l'histoire des individus, il suffit de recueillir les faits ; mais celle d'une masse d'hommes ne peut s'appuyer que sur des observations ; et, pour les choisir, pour en saisir les traits essentiels, il faut déjà des lumières, et presque autant de philosophie que pour les bien employer.

Again, these observations relate to common things, which strike the eyes of all, and which every one is capable himself of knowing when he thinks proper to attend to them. Hence the greater part have been collected by travellers and foreigners, because things very trivial in the place where they exist, have become an object of curiosity to strangers. Now it unfortunately happens, that these travellers are almost always inaccurate observers; they see objects with too much rapidity, through the medium of the prejudices of their own country, and not unfrequently by the eyes of the men of the country they run through: their conferences are held with such men as accident has connected them with; and the answer is, in almost every case, dictated by interest, party spirit, national pride, or ill-humour.

It is not alone, therefore, to the baseness of historians, as has been justly urged against those of monarchies, that we are to attribute the want of monuments from which we may trace this most important part of the history of men.

The defect cannot be supplied but very imperfectly by a knowledge of the laws, the practical principles of government and public economy, or by that of religion and general prejudices.

In fact, the law as written, and the law as executed; the principles of those who govern, and the manner in which their action is modified by the genius of those who are governed; the institution such as it has flowed from the men who formed it, and such as it becomes when realized by practice; the religion of books, and that of the people; the apparent universality of prejudice, and the real reception which it obtains, may differ to such a degree, that the effects shall absolutely cease to correspond to these public and known causes.

To this part of the history of the human species, which is the most obscure, the most neglected, and for which facts offer us so few materials, it is that we should more particularly attend in this outline; and whether an account be rendered of a new discovery, an important theory, a new system of laws, or a political revolution, the problem to be determined will consist in ascertaining what effects ought to have arisen from the will of the most numerous portion of each society. This is the true object of philosophy; because all the intermediate effects of these same causes can be considered only as means of acting, at least upon this portion, which truly constitutes the mass of the human race.

It is by arriving at this last link of the chain, that the observation of past events, as well as the knowledge acquired by meditation, become truly useful. It is by arriving at this term, that men learn to appreciate their real titles to reputation, or to enjoy, with a well-grounded pleasure, the progress of their reason. Hence, alone, it is, that they can judge of the true improvement of the human species.

The notion of referring every thing to this latter point, is dictated by justice and by reason; but it may be supposed to be without foundation. The supposition, nevertheless, is not true; and it will be enough if we prove it in this place by two striking examples.

The possession of the common objects of consumption, however abundantly they may now satisfy the wants of man; of those objects which the ground produces in consequence of human effort, is due to the continued exertions of industry, assisted by the light of the sciences; and thence it follows, from history, that this possession attaches itself to the gain of the battle of Salamis, without which the darkness of oriental despotism threatened to cover the whole of the earth. And, again, the accurate observation of the longitude, which preserves navigators from shipwreck, is indebted to a theory which, by a chain of truths, goes as far back as to discoveries made in the school of Plato, though buried for twenty centuries in perfect inutility.

D'ailleurs, ces observations ont ici pour objet des choses communes, qui frappent tous les yeux, que chacun peut, quand il veut, connaître par lui-même. Aussi, presque toutes celles qui ont été recueillies sont dues à des voyageurs, ont été faites par des étrangers, parce que ces choses, si triviales dans le lieu où elles existent, deviennent pour eux un objet de curiosité. Or, malheureusement, ces voyageurs sont presque toujours des observateurs inexacts ; ils voient les objets avec trop de rapidité, au travers des préjugés de leur pays, et souvent par les yeux des hommes de la contrée qu'ils parcourent. Ils consultent ceux avec qui le hasard les a liés ; et c'est l'intérêt, l'esprit de parti, l'orgueil national ou l'humeur, qui dictent presque toujours la réponse.

Ce n'est donc point seulement à la bassesse des historiens, comme on l'a reproché avec justice à ceux des monarchies, qu'il faut attribuer la disette des monuments d'après lesquels on peut tracer cette partie la plus importante de l'histoire des hommes.
 

On ne peut y suppléer qu'imparfaitement par la connaissance des lois, des principes pratiques de gouvernement et d'économie publique, ou par celle des religions, des préjugés généraux.

En effet, la loi écrite et la loi exécutée ; les principes de ceux qui gouvernent, et la manière dont leur action est modifiée par l'esprit de ceux qui sont gouvernés ; l'institution telle qu'elle émane des hommes qui la forment, et l'institution réalisée ; la religion des livres et celle du peuple ; l'universalité apparente d'un préjugé, et l'adhésion réelle qu'il obtient, peuvent différer tellement, que les effets cessent absolument de répondre à ces causes publiques et connues.
 

C'est à cette partie de l'histoire de l'espèce humaine, lui plus obscure, la plus négligée, et pour laquelle les monuments nous offrent si peu de matériaux, qu'on doit surtout s'attacher dans ce tableau ; et, soit qu'on y rende compte d'une découverte, d'une théorie importante, d'un nouveau système de lois, d'une révolution politique, on s'occupera de déterminer quels effets ont dû en résulter pour la portion la plus nombreuse de chaque société ; car c'est là le véritable objet de la philosophie, puisque tous les effets intermédiaires de ces mêmes causes ne peuvent être regardés que comme des moyens d'agir enfin sur cette portion qui constitue vraiment la masse du genre humain.
 

C'est en parvenant à ce dernier degré de la chaîne, que l'observation des événements passés, comme les connaissances acquises par la méditation, deviennent véritablement utiles. C'est en arrivant à ce terme, que les hommes peuvent apprécier leurs titres réels à la gloire, ou jouir, avec un plaisir certain, des progrès de leur raison ; c'est là seulement qu'on peut juger du véritable perfectionnement de l'espèce humaine.

Cette idée, de tout rapporter à ce dernier point, est dictée par la justice et par la raison ; mais on serait tenté de la regarder comme chimérique ; cependant, elle ne l'est pas : il doit nous suffire ici de le prouver par deux exemples frappants.

La possession des objets de consommation les plus communs, qui satisfont avec quelque abondance aux besoins de l'homme dont les mains fertilisent notre sol, est due aux longs efforts d'une industrie secondée par la lumière des sciences ; et dès lors cette possession s'attache, par l'histoire, au gain de la bataille de Salamine, sans lequel les ténèbres du despotisme oriental menaçaient d'envelopper la terre entière. Le matelot, qu'une exacte observation de la longitude préserve du naufrage, doit la vie à une théorie qui, par une chaîne de vérités, remonte à des découvertes faites dans l'école de Platon, et ensevelies pendant vingt siècles dans une entière inutilité.

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